{"id":164,"date":"2014-09-03T10:44:14","date_gmt":"2014-09-03T10:44:14","guid":{"rendered":"https:\/\/betemps.eu\/?p=164"},"modified":"2019-07-11T22:26:16","modified_gmt":"2019-07-11T20:26:16","slug":"les-langues-en-mouvement","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/betemps.eu\/les-langues-en-mouvement\/","title":{"rendered":"Les langues en mouvement"},"content":{"rendered":"
dans \u201cLangues : une guerre \u00e0 mort – Panoramiques<\/em>\u201d n. 48, Editions Carlet, Cond\u00e9-sur-Moireau, 2000.<\/p>\n <\/strong>Qu\u2019il vienne de l\u2019est ou du nord, \u00e0 travers les cols ou les tunnels, ou de l\u2019est, par le d\u00e9fil\u00e9 de Pont-Saint-Martin, le voyageur, m\u00eame ignare et press\u00e9, qui traverse la Vall\u00e9e d\u2019Aoste, entre en contact avec une r\u00e9alit\u00e9 linguistique particuli\u00e8re : une toponymie fran\u00e7aise, des panneaux en italien, en fran\u00e7ais ou bilingues, des coqs gallicans sur les clochers, des habitants qui parlent le fran\u00e7ais avec un accent italien (d\u2019apr\u00e8s les fran\u00e7ais) ou l\u2019italien avec un accent fran\u00e7ais (d\u2019apr\u00e8s les italiens).<\/p>\n Voil\u00e0 telle qu\u2019appara\u00eet la situation en superficie, signe d\u2019un cadre linguistique complexe et en mouvement. Mais, que se cache-t-il en dessous ? L\u2019analyse synchronique de la r\u00e9alit\u00e9 actuelle nous porte \u00e0 d\u00e9nombrer plusieurs registres linguistiques.<\/p>\n On peut dire que, d\u00e9sormais, tout le monde en Vall\u00e9e d\u2019Aoste poss\u00e8de une comp\u00e9tence active de l\u2019italien qui varie en fonction du degr\u00e9 d\u2019instruction des individus et de leur origine ethnique. L\u2019italien parl\u00e9 par des personnes faiblement cultiv\u00e9es est fortement dialectis\u00e9 : les autochtones ressentent l\u2019influence du francoproven\u00e7al, les immigr\u00e9s italiens celle de leur dialecte d\u2019origine. Les Vald\u00f4tains qui parlent un bon italien conservent cependant, presque toujours, une prononciation particuli\u00e8re du r<\/em> qui r\u00e9v\u00e8le leur origine.<\/p>\n Le francoproven\u00e7al (couramment appel\u00e9 patois), dans ses 70 et plus vari\u00e9t\u00e9s, est habituellement parl\u00e9 par au moins la moiti\u00e9 des habitants. Ce sont surtout les couches les plus \u00e2g\u00e9es qui les pratiquent davantage, mais il a encore une bonne (je dirais m\u00eame \u00e9tonnante) diffusion parmi les jeunes, voire m\u00eame les enfants.<\/p>\n Le fran\u00e7ais est encore la langue maternelle d\u2019un petit nombre de familles vald\u00f4taines mais il est cependant connu par la grande majorit\u00e9 de la population : il est enseign\u00e9 \u00e0 l\u2019\u00e9cole, les occasions pour le pratiquer sont fr\u00e9quentes vu la position g\u00e9ographique de la Vall\u00e9e et, surtout, sa parent\u00e9 avec le francoproven\u00e7al fait que le passage au fran\u00e7ais est tout \u00e0 fait naturel pour les dialectophones. Le fran\u00e7ais est aussi la langue instrumentale pour maintes associations culturelles, pour les meetings politiques de l\u2019Union Vald\u00f4taine et pour le groupe de l\u2019Union Vald\u00f4taine au Conseil R\u00e9gional. Dans les trois communes germanophones (Gressoney-La-Trinit\u00e9, Gressoney-Saint-Jean et Issime) une partie de la population parle encore le dialecte walser (\u00e0 l\u2019\u00e9cole, les enfants apprennent aussi l\u2019allemand) et dans la basse vall\u00e9e, la partie orientale, le pi\u00e9montais est g\u00e9n\u00e9ralement connu. Cette situation est le r\u00e9sultat d\u2019une \u00e9volution r\u00e9cente et, loin d\u2019avoir atteint un stade de stabilit\u00e9, elle est en plein mouvement.<\/p>\n La description que je viens de faire ne s\u2019appuie pas sur un recensement officiel. Le dernier recensement qui tenait compte des aspects linguistiques a \u00e9t\u00e9 effectu\u00e9 en 1921. A l\u2019\u00e9poque, on d\u00e9nombrait en Vall\u00e9e d\u2019Aoste 9,6% d\u2019italophones contre 4,7% en 1861. Ces \u00e9valuations sont faites \u00e0 partir de sondages (r\u00e9alis\u00e9s par des \u00e9tudiants ou des chercheurs) qui ne concernent que certaines zones de la Vall\u00e9e et de l\u2019opinion g\u00e9n\u00e9ralis\u00e9e des Vald\u00f4tains qui s\u2019occupent du probl\u00e8me linguistique.<\/p>\n Pour bien comprendre la situation, il faut se pencher sur la nature des langues en contact et sur leur histoire en Vall\u00e9e d\u2019Aoste. Je ne traiterai pas du probl\u00e8me walser qui, dans le contexte vald\u00f4tain, a toujours \u00e9t\u00e9 marginal pour des raisons essentiellement g\u00e9ographiques et d\u00e9mographiques (2% de la population). Ce qui ne signifie nullement qu\u2019il n\u2019ait pas une grande importance pour les Vald\u00f4tains : minorit\u00e9 au sein d\u2019une minorit\u00e9, les walsers sont l\u2019objet de l\u2019attention particuli\u00e8re de l\u2019Administration r\u00e9gionale : l\u2019allemand est reconnu officiellement et enseign\u00e9 \u00e0 l\u2019\u00e9cole primaire et \u00e0 l\u2019\u00e9cole moyenne (correspondant au coll\u00e8ge), un Centre culturel walser existe et son activit\u00e9 culturelle est r\u00e9guli\u00e8rement patronn\u00e9e par l\u2019Administration r\u00e9gionale.<\/p>\n Les walsers, population germanique originaire du Haut-Valais, se sont \u00e9tablis dans les trois communes vald\u00f4taines de la Vall\u00e9e du Lys, Issime, Gressoney-Saint-Jean et Gressoney-La-Trinit\u00e9 entre le XIIe<\/sup> et le XIIIe<\/sup> si\u00e8cle lors des migrations walsers qui ont \u00e9t\u00e9 \u00e0 l\u2019origine de plusieurs enclaves principalement en Italie, Autriche, Liechtenstein et dans les cantons suisses de Berne et des Grisons. En Vall\u00e9e d\u2019Aoste, ils parlent encore leur ancien dialecte al\u00e9manique bien qu\u2019il soit s\u00e9rieusement menac\u00e9.<\/p>\n Les Salasses sont la premi\u00e8re tribu cit\u00e9e par les historiens classiques, peuple ligure donc pr\u00e9-indoeurop\u00e9en, d\u00e9j\u00e0 celtis\u00e9 lors de son entr\u00e9e dans l\u2019histoire. Les Salasses, population guerri\u00e8re, gardienne des cols mettant en communication l\u2019Italie avec l\u2019Europe nord-occidentale, oppos\u00e8rent une fi\u00e8re r\u00e9sistance \u00e0 l\u2019arriv\u00e9e des Romains, mais ils furent rapidement soumis, dispers\u00e9s et assimil\u00e9s.<\/p>\n Ils ne nous ont l\u00e9gu\u00e9 aucun document \u00e9crit dans leur langue, mais il existe encore dans la toponymie locale et dans les diff\u00e9rents patois francoproven\u00e7aux vald\u00f4tains un riche substrat celtique et pr\u00e9-indoeurop\u00e9en, appel\u00e9 ligure par convention. Il s\u2019agit l\u00e0 probablement de leur plus important h\u00e9ritage. Profond\u00e9ment latinis\u00e9e, la Vall\u00e9e d\u2019Aoste, \u00e0 partir de 575, date de la victoire de Gontran, roi des Francs, sur les Lombards, entre dans l\u2019orbite de l\u2019aire gallo-romaine, de Lyon plus particuli\u00e8rement, dont elle participera \u00e0 l\u2019\u00e9volution politique, religieuse culturelle et linguistique.<\/p>\n Fief d\u2019Humbert aux Blanches-Mains, \u00e0 la chute du deuxi\u00e8me royaume de Bourgogne, elle fait donc partie d\u00e8s le d\u00e9but des \u00e9tats de Savoie, \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur desquels, jusqu\u2019au XVIIIe<\/sup> si\u00e8cle, elle jouit de libert\u00e9s sp\u00e9cifiques, voire m\u00eame d\u2019ind\u00e9pendance durant certains moments de son histoire. Sur le plan linguistique, l\u2019\u00e9volution du latin local, fortement impr\u00e9gn\u00e9 de l\u2019h\u00e9ritage celto-ligure, ressent de l\u2019influence de Lyon. Des parlers d\u00e9finis par Isaia Graziadro Ascoli, en 1878, francoproven\u00e7aux, se structurent progressivement pour devenir le support linguistique quotidien de la population, \u00e0 l\u2019instar de ce qui s\u2019est pass\u00e9 sur une vaste aire allant de Saint-Etienne \u00e0 Aoste et de Fribourg en Suisse, \u00e0 Grenoble.<\/p>\n Avec l\u2019abandon du latin comme langue officielle, quelques ann\u00e9es apr\u00e8s l\u2019\u00e9dit de Villers Cotterets, en 1561, le duc de Savoie, Emmanuel Philibert, par des lettres patentes, d\u00e9clare le fran\u00e7ais langue officielle de la Vall\u00e9e d\u2019Aoste \u201c \u2026 ayant toujours et de tout temps \u00e9t\u00e9 la langue fran\u00e7aise en notre Pays d\u2019Aoste plus commune et g\u00e9n\u00e9rale que point d\u2019autre ; et ayant le peuple et sujets du dit Pays averti et accoutum\u00e9 de parler la dite langue plus ais\u00e9ment que nulle autre\u2026<\/em> \u201d. L\u2019acte du duc ne faisait que ratifier une situation de fait \u00e9tant donn\u00e9 que le fran\u00e7ais en Vall\u00e9e d\u2019Aoste, tout comme en Savoie, \u00e9tait devenu bien avant 1561, en alternance avec le latin, la langue de la pr\u00e9dication, des repr\u00e9sentations sc\u00e9niques, des communications \u00e9pistolaires, des rapports entre autorit\u00e9s civiles ou religieuses, de l\u2019administration, de la litt\u00e9rature naissante, etc. D\u2019apr\u00e8s l\u2019historien Fran\u00e7ois-Gabriel Frutaz, le fran\u00e7ais substitua le parler vulgaire local dans la pr\u00e9dication d\u00e8s le d\u00e9but du XVe<\/sup> si\u00e8cle. Toujours au XVe<\/sup> si\u00e8cle, apparaissent les premiers ouvrages litt\u00e9raires vald\u00f4tains en fran\u00e7ais : myst\u00e8res, No\u00ebls, chroniques historiques. Mais la pr\u00e9sence de parlers romans en Vall\u00e9e d\u2019Aoste ressort d\u00e9j\u00e0 des textes latins les plus anciens, \u00e0 partir du XIIe<\/sup> et XIIIe<\/sup> si\u00e8cle : plusieurs mots se r\u00e9f\u00e9rant \u00e0 des r\u00e9alit\u00e9s locales sont \u00e9crits en roman dans un contexte latin. En Vall\u00e9e d\u2019Aoste, comme dans toute l\u2019aire gallo-romaine, on abandonne donc officiellement le latin pour adopter le parler de l\u2019Ile de France, opportun\u00e9ment adapt\u00e9 aux exigences locales.<\/p>\n Le fran\u00e7ais devient ainsi la seule langue employ\u00e9e dans l\u2019administration, dans l\u2019enseignement, dans le culte et dans la litt\u00e9rature et il prosp\u00e8re en symbiose avec le francoproven\u00e7al, langue de la vie quotidienne, donnant vie \u00e0 un bilinguisme diglossique, situation linguistique tout \u00e0 fait normale en Europe jusqu\u2019au XIXe <\/sup>si\u00e8cle, et, pour certaines communaut\u00e9s, situation encore fonctionnelle de nos jours dont le cas de la Suisse al\u00e9manique en est un exemplaire.<\/p>\n Pendant une longue p\u00e9riode, \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur des \u00e9tats de Savoie, \u00e0 cheval sur les Alpes occidentales, r\u00e9gion biculturelle et bilingue, la Vall\u00e9e d\u2019Aoste v\u00e9cut comme la Savoie voisine en fran\u00e7ais et en francoproven\u00e7al. Bien que minoritaire \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur des \u00e9tats de Savoie, le fran\u00e7ais \u00e9tait librement utilis\u00e9 au parlement et \u00e0 la cour m\u00eame. Ce ne fut qu\u2019avec l\u2019unit\u00e9 d\u2019Italie, en 1860, que les v\u00e9ritables conflits linguistiques s\u2019amorcent.<\/p>\n Le nom francoproven\u00e7al est d\u2019origine relativement r\u00e9cente. Dans un article paru dans la revue Archivio glottologico italiano<\/em> de 1878, le linguiste Ascoli d\u00e9clare : \u201c J\u2019appelle franco-proven\u00e7al un type linguistique qui r\u00e9unit, en plus de quelques caract\u00e8res qui lui sont propres, d\u2019autres caract\u00e8res dont une partie lui est commune avec le fran\u00e7ais et dont une autre lui est commune avec le proven\u00e7al, et qui ne provient pas d\u2019une tardive confluence d\u2019\u00e9l\u00e9ments divers, mais au contraire atteste sa propre ind\u00e9pendance historique, peu diff\u00e9rente de celles, par lesquelles se distinguent entre eux, les autres principaux types romans<\/em>. \u201d Dans les pages suivantes, l\u2019auteur pr\u00e9cisait, en fournissant des exemples, les convergences, les divergences et les originalit\u00e9s du francoproven\u00e7al par rapport aux parlers d\u2019oc et d\u2019o\u00efl. La d\u00e9finition est \u00e9minemment linguistique et repose surtout sur des particularit\u00e9s phon\u00e9tiques.<\/p>\n Dans le sillage d\u2019Ascoli, des linguistiques ont mis en \u00e9vidence d\u2019autres caract\u00e8res du francoproven\u00e7al. La th\u00e9orie d\u2019Ascoli a \u00e9t\u00e9 \u00e2prement contrast\u00e9e par plusieurs romanistes et non des moindres, parmi lesquels Paul Meyer. Le d\u00e9bat sur la nature du francoproven\u00e7al \u201cdefinitio nominis\u201d ou \u201cdefinitio rei\u201d? divisa longuement les linguistes. Le caract\u00e8re arbitraire de la d\u00e9finition \u00e9tait \u00e9vident et les difficult\u00e9s pour tracer la ligne de d\u00e9marcation entre les trois parlers sur la base des crit\u00e8res linguistiques \u00e9nonc\u00e9s ont tout de suite \u00e9t\u00e9 consid\u00e9rables puisque nulle part, \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur des parlers gallo-romains, il n\u2019existe une v\u00e9ritable fronti\u00e8re.<\/p>\n Gaston Tuaillon, l\u2019un des plus \u00e9minents sp\u00e9cialistes vivants, nous dit \u00e0 ce propos : \u201c D\u00e9crire le francoproven\u00e7al est une entreprise difficile, car cette langue n\u2019existe nulle part \u00e0 l\u2019\u00e9tat pur, elle existe dans tous les patois francoproven\u00e7aux, mais partout associ\u00e9e \u00e0 d\u2019assez fortes particularit\u00e9s locales. C\u2019est cela une langue dialectale, une langue qui n\u2019existe que sous la forme de l\u2019infinie variation g\u00e9olinguistique : le francoproven\u00e7al est une langue de ce type<\/em>. \u201d<\/p>\n Toujours Gaston Tuaillon, nous fournit une autre belle d\u00e9finition du francoproven\u00e7al qu\u2019il appelle \u201cg\u00e9n\u00e9tique\u201d. Pour lui, le francoproven\u00e7al est un \u201cprotofran\u00e7ais\u201d qui n\u2019a pas suivi, comme les parlers d\u2019o\u00efl, les innovations venant du nord, \u00e0 partir de l\u2019\u00e9poque carolingienne. La diff\u00e9renciation entre parlers francoproven\u00e7aux et d\u2019o\u00efl, la \u201csegmentation\u201d pour employer la terminologie de G. Tuaillon \u201c s\u2019est faite par un triple refus des innovations de la France du Nord : refus de l\u2019oxytonisme g\u00e9n\u00e9ralis\u00e9, refus de dire <\/em>\u00e9 pour<\/em> a en syllabe tonique libre, refus de dire<\/em> \u00fc pour<\/em> u \u201d.<\/p>\n A la diff\u00e9rence des langues d\u2019oc et d\u2019o\u00efl, le francoproven\u00e7al n\u2019a pas une v\u00e9ritable tradition \u00e9crite. Nous avons des attestations de textes administratifs du XIIIe<\/sup> si\u00e8cle, venant du Forez et du Lyonnais, des essais juridiques de Grenoble, les \u0153uvres de Marguerite d\u2019Oingt, puis, au XVIe<\/sup> si\u00e8cle, des chants et des po\u00e8mes, surtout dans le genre burlesque, un peu partout dans l\u2019aire francoproven\u00e7ale, \u00e0 l\u2019exception de la Vall\u00e9e d\u2019Aoste.<\/p>\n Le premier texte en francoproven\u00e7al imprim\u00e9 en Vall\u00e9e d\u2019Aoste est la lettre attribu\u00e9e \u00e0 Laurent Pl\u00e9od, parue en 1850 dans l\u2019almanach du Duch\u00e9 d\u2019Aoste. Un autre texte \u00e0 rappeler est celui contenu dans la brochure d\u2019Edouard B\u00e9rard, en r\u00e9ponse \u00e0 Vegezzi-Ruscalla, d\u00e9put\u00e9 pi\u00e9montais qui sugg\u00e9rait dans un pamphlet, en 1861, l\u2019abolition du fran\u00e7ais en Vall\u00e9e d\u2019Aoste sous pr\u00e9texte que le patois (le terme francoproven\u00e7al \u00e0 l\u2019\u00e9poque n\u2019avait pas encore \u00e9t\u00e9 d\u00e9couvert) \u00e9tait la langue v\u00e9ritable des Vald\u00f4tains. En feuilletant les journaux vald\u00f4tains de l\u2019\u00e9poque, on peut tomber, de temps en temps, sur des mots entre guillemets, de petites citations ou sur quelques po\u00e8mes en francoproven\u00e7al. Ce n\u2019est que vers la fin du XIXe<\/sup> si\u00e8cle que la litt\u00e9rature patoise conna\u00eetra un certain essor gr\u00e2ce \u00e0 Jean-Baptiste Cerlogne et \u00e0 ses \u00e9pigones.<\/p>\n Depuis, les \u00e9crivains en francoproven\u00e7al se multiplient et illustrent les diff\u00e9rents genres litt\u00e9raires, surtout la po\u00e9sie et le th\u00e9\u00e2tre. La prose, et plus particuli\u00e8rement le roman, et l\u2019essai sont pratiquement absents. Chaque auteur \u00e9crit dans sa vari\u00e9t\u00e9 de francoproven\u00e7al, utilisant souvent une graphie personnelle. Rien qu\u2019en Vall\u00e9e d\u2019Aoste, on d\u00e9nombre pour quelque 50.000 locuteurs plus de 70 vari\u00e9t\u00e9s de francoproven\u00e7al, au moins une par commune, pr\u00e9sentant des diff\u00e9rences phon\u00e9tiques, lexicales et grammaticales parfois consistantes \u00e0 tel point que l\u2019intercompr\u00e9hension n\u2019est pas toujours assur\u00e9e.<\/p>\n D\u00e9j\u00e0 en 1850, le d\u00e9put\u00e9 vald\u00f4tain Laurent Martinet avait eu \u00e0 se plaindre officiellement du fait que la publication des lois en Vall\u00e9e d\u2019Aoste se faisait en langue italienne, signe \u00e9vident des projets dynastiques de la Maison de Savoie, de plus en plus tourn\u00e9e vers l\u2019Italie. Mais ce n\u2019est qu\u2019avec l\u2019Unit\u00e9 d\u2019Italie, pourtant chaudement pr\u00f4n\u00e9e par l\u2019intelligentsia vald\u00f4taine, que le probl\u00e8me linguistique se pose avec vigueur. Le 7 juin 1860 la Savoie devient fran\u00e7aise. La Vall\u00e9e d\u2019Aoste en est choqu\u00e9e: elle commence \u00e0 r\u00e9aliser que dans le nouveau cadre institutionnel italien elle ne sera plus qu\u2019une communaut\u00e9 de fronti\u00e8re insignifiante, faible et isol\u00e9e. Peu de mois apr\u00e8s, le 10 Ao\u00fbt, un d\u00e9cret minist\u00e9riel prescrit l\u2019usage de l\u2019italien dans toutes les \u00e9coles du royaume. La Vall\u00e9e d\u2019Aoste proteste avec vigueur et s\u2019ouvre ainsi un contentieux qui dure encore de nos jours.<\/p>\n Articles de presse, discours, pamphlets, prises de position des institutions publiques, formation de comit\u00e9s de d\u00e9fense sensibilisent la population qui est solidaire avec ses repr\u00e9sentants qui, malgr\u00e9 leurs divisions id\u00e9ologiques, sont remarquablement unis sur le th\u00e8me de la langue jusqu’\u00e0 la venue du fascisme.<\/p>\n R\u00e9sumer les diff\u00e9rents moments du combat des Vald\u00f4tains en faveur de leur langue fran\u00e7aise serait trop long. Il suffit de rappeler que l\u2019italien, langue qui, en 1861, n\u2019\u00e9tait parl\u00e9e que par 4,7% des Vald\u00f4tains, progressa rapidement par le canal des institutions publiques.<\/p>\n La francophonie r\u00e9siste malgr\u00e9 tout gr\u00e2ce surtout \u00e0 l\u2019action du clerg\u00e9, tr\u00e8s influent sur tout le territoire et \u00e0 celle d\u2019associations politico-culturelles telles que La ligue vald\u00f4taine<\/em>. L\u2019\u00e9ducation en fran\u00e7ais continue \u00e0 \u00eatre dispens\u00e9e, bien qu\u2019avec difficult\u00e9, par le biais de l\u2019important r\u00e9seau des \u00e9coles de hameaux; la vie religieuse se d\u00e9roule toujours en fran\u00e7ais; les notaires non plus n\u2019abandonnent pas int\u00e9gralement le fran\u00e7ais; la presse continuera \u00e0 para\u00eetre essentiellement en langue fran\u00e7aise tout comme la production litt\u00e9raire; les administrations communales r\u00e9sistent tant bien que mal. En 1921, les italophones ne repr\u00e9sentent que 9,6%.<\/p>\n Ce fut le fascisme, avec toute sa brutalit\u00e9, qui ass\u00e9na le coup le plus dur au tissu linguistique autochtone des Vald\u00f4tains avec sa propagande fracassante, ses interventions violentes, la centralisation des pouvoirs, la d\u00e9fense absolue de l\u2019usage du fran\u00e7ais, l\u2019italianisation des toponymes, la destruction maniaque de toute trace de culture fran\u00e7aise jusqu\u2019aux inscriptions sur les tombes ! Le fascisme encouragea aussi, profitant de l\u2019industrialisation du pays, une immigration massive et dirig\u00e9e d\u2019italophones \u00e0 laquelle faisait pendant une \u00e9migration vald\u00f4taine plus au moins clandestine, souvent cons\u00e9quence de la discrimination envers les pays francophones en premier lieu.<\/p>\n H\u00e9riti\u00e8re de la Ligue Vald\u00f4taine<\/em>, compromise avec le fascisme naissant, la Jeune Vall\u00e9e d\u2019Aoste<\/em> anim\u00e9e par l\u2019abb\u00e9 Joseph Tr\u00e8ves et par le notaire Emile Chanoux continue \u00e0 \u0153uvrer dans la clandestinit\u00e9 pour sauvegarder l\u2019identit\u00e9 vald\u00f4taine et la langue fran\u00e7aise. Emile Chanoux, th\u00e9oricien du f\u00e9d\u00e9ralisme, deviendra le premier chef de la R\u00e9sistance vald\u00f4taine et le principal inspirateur des groupes autonomistes particuli\u00e8rement actifs dans le maquis. Il est assassin\u00e9 par les fascistes en mai 1944 mais son projet n\u2019est cependant pas abandonn\u00e9. Des contacts suivis sont entretenus avec le maquis fran\u00e7ais et avec les puissantes organisations d\u2019\u00e9migr\u00e9s vald\u00f4tains en France. Apr\u00e8s une vaine tentative de faire de la Vall\u00e9e d\u2019Aoste un canton suisse, se d\u00e9veloppe en Vall\u00e9e d\u2019Aoste un fort mouvement s\u00e9paratiste pour l\u2019annexion \u00e0 la France. Ce projet \u00e9chouera en raison de l\u2019hostilit\u00e9 des alli\u00e9s anglo-saxons et de la ti\u00e9deur des milieux politiques fran\u00e7ais o\u00f9 seul le G\u00e9n\u00e9ral De Gaulle avait d\u00e9montr\u00e9 de l\u2019int\u00e9r\u00eat. En 1945, un d\u00e9cret du lieutenant du Roi accordera \u00e0 la Vall\u00e9e d\u2019Aoste l\u2019autonomie qui sera confirm\u00e9e et mieux d\u00e9finie par le Statut Sp\u00e9cial de 1948, loi constitutionnelle de l\u2019Etat italien.<\/p>\n Dans le Statut, trois articles r\u00e9glementent l\u2019usage de la langue et son enseignement.<\/p>\n ART 38<\/strong><\/p>\n La langue fran\u00e7aise et la langue italienne sont au m\u00eame niveau de parit\u00e9 en Vall\u00e9e d\u2019Aoste.<\/p>\n Les actes publics peuvent \u00eatre r\u00e9dig\u00e9s dans l\u2019une ou l\u2019autre langue, \u00e0 l\u2019exception des actes de l\u2019autorit\u00e9 judiciaire, qui sont r\u00e9dig\u00e9s en italien.<\/p>\n Les administrations de l\u2019Etat prennent \u00e0 leur service dans la Vall\u00e9e, autant que possible, des fonctionnaires originaires de la R\u00e9gion ou qui connaissent le fran\u00e7ais.<\/p>\n ART. 39<\/strong><\/p>\n Dans les \u00e9coles de n\u2019importe quel ordre ou degr\u00e9 qui d\u00e9pendent de la R\u00e9gion, un nombre d\u2019heures \u00e9gal \u00e0 celui qui est consacr\u00e9 \u00e0 l\u2019enseignement de l\u2019italien est r\u00e9serv\u00e9, chaque semaine, \u00e0 l\u2019enseignement du fran\u00e7ais.<\/p>\n L\u2019enseignement de quelques mati\u00e8res peut \u00eatre dispens\u00e9 en fran\u00e7ais.<\/p>\n ART. 40<\/strong><\/p>\n L\u2019enseignement des diff\u00e9rentes mati\u00e8res est organis\u00e9 selon les dispositions et les programmes en vigueur dans l\u2019Etat, moyennant des adaptations opportunes aux n\u00e9cessit\u00e9s locales.<\/p>\n Ces adaptations, ainsi que la liste des mati\u00e8res pouvant \u00eatre enseign\u00e9es en fran\u00e7ais, sont approuv\u00e9es et rendues ex\u00e9cutives, apr\u00e8s consultation de commissions mixtes compos\u00e9es de repr\u00e9sentants du Minist\u00e8re de l\u2019Instruction publique, de repr\u00e9sentants du Conseil de la Vall\u00e9e et de repr\u00e9sentants du corps enseignant.<\/p>\n Le Statut est \u00e2prement contest\u00e9 par les Vald\u00f4tains qui le jugent largement insuffisant. D\u2019ailleurs, de nombreuses propositions de statut avaient \u00e9t\u00e9 r\u00e9dig\u00e9es par des Vald\u00f4tains, dont une m\u00eame par le Conseil de la Vall\u00e9e, et toutes pr\u00e9voyaient beaucoup plus de comp\u00e9tences \u00e0 la Vall\u00e9e d\u2019Aoste. Pour ce qui est de la partie concernant la langue, quelques observations s\u2019imposent.<\/p>\n L\u2019aspect positif est la reconnaissance de la langue fran\u00e7aise \u00e0 parit\u00e9 de celle italienne, dont d\u00e9coule la l\u00e9galit\u00e9 de son emploi dans tous les actes officiels et son enseignement \u00e0 l\u2019\u00e9cole. Mais\u2026 L\u2019emploi fr\u00e9quent du verbe pouvoir<\/em>, qui laisse beaucoup d\u2019espace \u00e0 la discussion et surtout l\u2019absence de r\u00e8gles d\u2019ex\u00e9cution, comp\u00e9tence de l\u2019Etat, ainsi que l\u2019institution de commissions mixtes freinent l\u2019application int\u00e9grale du Statut. Le fran\u00e7ais est enseign\u00e9 \u00e0 l\u2019\u00e9cole, b\u00e9n\u00e9ficiant d\u2019autant d\u2019heures que l\u2019italien mais c\u2019est l\u2019italien qui devient la langue instrumentale pour toutes les mati\u00e8res. Malgr\u00e9 les pressions des organes politiques vald\u00f4tains, la situation ne se d\u00e9bloquera qu\u2019en 1975 avec le passage des enseignants de la tutelle de l\u2019Etat \u00e0 celle de la R\u00e9gion, avec l\u2019\u00e9manation successive des premi\u00e8res r\u00e8gles d\u2019application et la constitution de la commission mixte. Ainsi on passe progressivement, bien que d\u2019une mani\u00e8re imparfaite, de l\u2019enseignement du fran\u00e7ais \u00e0 l\u2019enseignement en fran\u00e7ais d\u2019une partie des mati\u00e8res. A l\u2019heure actuelle, la r\u00e9forme, a d\u00e9j\u00e0 touch\u00e9 l\u2019\u00e9cole maternelle, primaire et le secondaire inf\u00e9rieur. Celle concernant le secondaire sup\u00e9rieur est \u00e0 l\u2019\u00e9tude.<\/p>\n Mais l\u2019\u00e9cole bilingue \u00e0 elle seule n\u2019a pu relancer la pratique quotidienne du fran\u00e7ais en Vall\u00e9e d\u2019Aoste. Elle a form\u00e9 des jeunes ayant une certaine comp\u00e9tence en fran\u00e7ais, parfois bonne mais plus souvent m\u00e9diocre, et l\u2019italien reste le principal moyen de communication avec les autres : la situation actuelle est celle d\u00e9crite en ouverture de cet article.<\/p>\n Parmi les requ\u00eates des vald\u00f4tains au moment de la discussion du Statut d\u2019autonomie, il y avait celle d\u2019une double fili\u00e8re d\u2019\u00e9coles, en langue fran\u00e7aise et italienne. Cette solution, qui sera adopt\u00e9e pour le Tyrol du Sud, n\u2019a pas \u00e9t\u00e9 prise en consid\u00e9ration. Cela aurait signifi\u00e9 reconna\u00eetre sur le territoire vald\u00f4tain l\u2019existence de deux groupes linguistiques distincts, ce qui correspondait \u00e0 la r\u00e9alit\u00e9.<\/p>\n Les articles du Statut sur la langue pr\u00e9conisent par contre une r\u00e9alit\u00e9 de bilinguisme g\u00e9n\u00e9ralis\u00e9 \u00e0 toute la population sans l\u2019identification de la langue maternelle de chacun. Th\u00e9oriquement, en Vall\u00e9e d\u2019Aoste on peut effectuer n\u2019importe quelle d\u00e9marche dans une des deux langues officielles, mais on ne peut recevoir de r\u00e9ponse dans la m\u00eame langue. Cette solution qui peut m\u00eame para\u00eetre \u00e0 l\u2019avant-garde, surtout dans le cadre d\u2019une Europe en formation, s\u2019est r\u00e9v\u00e9l\u00e9e p\u00e9nalisante \u00e0 l\u2019\u00e9gard de la langue fran\u00e7aise, affaiblie par le fascisme, \u00e9touff\u00e9e dans une r\u00e9alit\u00e9 o\u00f9 l\u2019italien peut compter sur de nombreux supports, voire les m\u00e9dias, et sur un syst\u00e8me qui, malgr\u00e9 l\u2019autonomie, ressent lourdement de l\u2019influence italienne.<\/p>\n Cette forme de bilinguisme a g\u00e9n\u00e9ralis\u00e9 la connaissance du fran\u00e7ais en Vall\u00e9e d\u2019Aoste mais n\u2019a pas sauvegard\u00e9 les francophones, ni permis aux dialectophones d\u2019apprendre convenablement la langue litt\u00e9raire dans laquelle ils se sont toujours reconnus. Le francoproven\u00e7al, ou patois comme nous l\u2019appelons couramment, est encore parl\u00e9 habituellement par la moiti\u00e9 des r\u00e9sidents en Vall\u00e9e d\u2019Aoste. Il s\u2019agit surtout des autochtones mais aussi d\u2019immigr\u00e9s ou de leurs descendants.<\/p>\n A partir du XIXe<\/sup> si\u00e8cle, le francoproven\u00e7al a connu le sort des dialectes dans la plupart des soci\u00e9t\u00e9s en voie de modernisation : plus ou moins combattu par l\u2019\u00e9cole, trait\u00e9 de langue de l\u2019\u00e9table<\/em> par les citadins, consid\u00e9r\u00e9 comme parler cacophonique par les \u00e9trangers ethnocentristes. Sans jamais avoir subi de pers\u00e9cution officielle, il a \u00e9t\u00e9 cependant victime d\u2019une propagande st\u00e9r\u00e9otyp\u00e9e bien connue. C\u2019est la principale raison pour laquelle plusieurs familles vald\u00f4taines \u00e9tablies en ville ou dans les gros bourgs ne l\u2019ont pas retransmis. Encore, et je dirais surtout dans les ann\u00e9es 60, dans les rues de la ville les patoisants tendaient \u00e0 le chuchoter \u00e0 voix basse, presque honteux de leur patrimoine linguistique m\u00e9connu. C\u2019est en ces ann\u00e9es l\u00e0 que la pratique de parler italien aux enfants se r\u00e9pand m\u00eame dans les campagnes, surtout dans les communes pr\u00e8s des gros centres ou celles \u00e0 vocation touristique.<\/p>\n Et c\u2019est dans ces ann\u00e9es-l\u00e0 que le probl\u00e8me devient perceptible au point qu\u2019une politique en faveur du francoproven\u00e7al, promue par l\u2019administration r\u00e9gionale, voit le jour. En 1962, le francoproven\u00e7al entre \u00e0 l\u2019\u00e9cole primaire sous la forme d\u2019un concours, le Concours Cerlogne : guid\u00e9s par les enseignants, les \u00e9l\u00e8ves entreprennent des recherches sur leur milieu en francoproven\u00e7al. Puis, en 1967, un instituteur particuli\u00e8rement sensible, Ren\u00e9 Willien, fonde le Centre d\u2019Etudes francoproven\u00e7ales dont l\u2019action se d\u00e9veloppera dans les ann\u00e9es successives. Actuellement, le Centre existe toujours et le Bureau R\u00e9gional pour l\u2019Ethnologie et la Linguistique, cr\u00e9\u00e9 en 1986, assure une activit\u00e9 quotidienne avec des sp\u00e9cialistes et des fonctionnaires, de concert avec le Centre. Actuellement, une quinzaine de compagnies th\u00e9\u00e2trales jouent en francoproven\u00e7al, une trentaine d\u2019ouvrages sont imprim\u00e9s toujours en francoproven\u00e7al, des cours d\u2019apprentissage pour d\u00e9butants ont \u00e9t\u00e9 instaur\u00e9s et une graphie est en voie de normalisation; des \u00e9tudes linguistiques sont men\u00e9es par des universitaires et des sp\u00e9cialistes locaux, des manifestations et des f\u00eates sont organis\u00e9s et quelques \u00e9missions sont transmises \u00e0 la radio et \u00e0 la t\u00e9l\u00e9vision.<\/p>\n La situation demeure malgr\u00e9 tout pr\u00e9occupante. L\u2019aspect nouveau le plus encourageant est que le francoproven\u00e7al a r\u00e9cup\u00e9r\u00e9 une bonne image publique, il est appr\u00e9ci\u00e9 par les locuteurs en premier lieu et suscite de plus en plus l\u2019int\u00e9r\u00eat des autres Vald\u00f4tains. On le parle bien fort en toutes les occasions, souvent m\u00eame avec un peu de coquetterie. Un patoisant tend \u00e0 \u00e9tablir la conversation dans sa langue d\u00e8s qu\u2019il s\u2019aper\u00e7oit que son interlocuteur la partage, sans cependant jamais l\u2019imposer \u00e0 ceux qui l\u2019ignorent. Le francoproven\u00e7al a perdu les connotations n\u00e9gatives dont on l\u2019avait affubl\u00e9, mais il est malheureusement aussi en train de perdre des locuteurs.<\/p>\n Chez nous, le patoisant est au moins trilingue, mais il s\u2019agit l\u00e0 de sa propre pr\u00e9rogative et non pas de celle des autres. Dans le cas de mariages mixtes de plus en plus fr\u00e9quents, c\u2019est g\u00e9n\u00e9ralement le patoisant qui, en famille, renonce \u00e0 sa langue; il y a bien s\u00fbr des cas o\u00f9 les parents s\u2019adressent aux enfants chacun dans sa propre langue mais ce n\u2019est pas la m\u00eame chose. De plus, les transformations de la soci\u00e9t\u00e9, qui perd progressivement sa ruralit\u00e9, les m\u00e9dias, le commerce, l\u2019administration, la crise du fran\u00e7ais, la disparition du francoproven\u00e7al dans les pays voisins, France et Suisse, la vie enti\u00e8re, tout porte de plus en plus vers l\u2019italien, malgr\u00e9 les efforts d\u00e9ploy\u00e9s par les pouvoirs publics.<\/p>\n Le francoproven\u00e7al n\u2019est plus un outil linguistique n\u00e9cessaire et indispensable pour communiquer avec le voisin. Il repr\u00e9sente encore une marque d\u2019identit\u00e9, un patrimoine sentimental, une comp\u00e9tence en plus, aspects importants mais qui ne garantissent pas la survie d\u2019une langue.<\/p>\n Un autre aspect tracassant est l\u2019\u00e9volution rapide, particuli\u00e8rement \u00e9vidente chez les jeunes, qui ressent de l\u2019influence de l\u2019italien. Et ce n\u2019est pas simplement un probl\u00e8me de n\u00e9ologismes qui pourraient ais\u00e9ment \u00eatre absorb\u00e9s par la langue, ph\u00e9nom\u00e8ne naturel et utile. Les interf\u00e9rences sont \u00e0 tous les niveaux : phon\u00e9tique, lexical, grammatical et syntaxique : des mots italiens qui s\u2019introduisent en concurrence avec les correspondants en francoproven\u00e7al, des constructions de phrases moul\u00e9es sur l\u2019italien, le syst\u00e8me accentuel perturb\u00e9 par des proparoxytons inconnus au francoproven\u00e7al, etc. Nous ne sommes plus face \u00e0 une \u00e9volution naturelle de la langue mais \u00e0 une d\u00e9r\u00e9gulation incontr\u00f4l\u00e9e. Le probl\u00e8me est grave, mais il peut encore \u00eatre ma\u00eetris\u00e9.<\/p>\n En guise de conclusion je voudrais faire encore quelques consid\u00e9rations d\u2019ordre g\u00e9n\u00e9ral. Il ne m\u2019appartient pas de souligner l\u2019importance du plurilinguisme en Europe et de la sauvegarde des langues autochtones moins r\u00e9pandues, patrimoine inali\u00e9nable de l\u2019humanit\u00e9. Les solutions linguistiques vald\u00f4taines, malgr\u00e9 certaines apparences, sont \u00e0 mon avis insuffisantes pour maintenir l\u2019\u00e9quilibre des langues qui fait encore de nos jours, qu\u2019une partie consid\u00e9rable de Vald\u00f4tains est bilingue, voire trilingue avec un ancrage solide avec la tradition par le biais du francoproven\u00e7al.<\/p>\n Le syst\u00e8me Vall\u00e9e d\u2019Aoste en apparence exemplaire est en r\u00e9alit\u00e9 instable et les tendances, \u00e0 l\u2019heure actuelle, privil\u00e9gient la langue italienne, et vont vers l\u2019unilinguisme italien.<\/p>\n Ayant choisi de laisser dans le vague la notion de langue maternelle, la langue b\u00e9n\u00e9ficiant de plus de supports, l\u2019italien, prendra progressivement le dessus. La langue fran\u00e7aises, tout en \u00e9tant enseign\u00e9e, perd son prestige et surtout son pouvoir d\u2019identification pour les autochtones. De plus, dans certains milieux elle est per\u00e7ue comme la langue d\u2019une force politique, l\u2019Union Vald\u00f4taine, et rien que pour cette raison elle est contest\u00e9e. Le francoproven\u00e7al est de plus en plus senti comme langue-souche et moyen d\u2019enraciment, mais pour sa fragmentation, pour son caract\u00e8re non officiel, pour son \u00e9volution trop rapide, il est un peu le maillon faible du syst\u00e8me. Mais le pessimisme du moment peut \u00eatre compens\u00e9 par des signaux int\u00e9ressants.<\/p>\n Si les langues ont en mouvement, les soci\u00e9t\u00e9s le sont aussi. Sans vouloir me lancer dans des pr\u00e9visions hasard\u00e9es pour le futur, avec l\u2019int\u00e9gration europ\u00e9enne qui avance, il est pr\u00e9visible que de nouveaux \u00e9quilibres linguistiques puissent \u00eatre envisag\u00e9s en Vall\u00e9e d\u2019Aoste.<\/p>\n Il est imaginable qu\u2019avec le rel\u00e2chement des fronti\u00e8res \u00e9tatiques, la langue fran\u00e7aise, langue de prestige international, regagne du terrain en Vall\u00e9e d\u2019Aoste. La prise de conscience progressive au niveau europ\u00e9en de la valeur du patrimoine linguistique autochtone ne manquera pas de profiter au francoproven\u00e7al qui a d\u00e9j\u00e0 beaucoup r\u00e9cup\u00e9r\u00e9 ces derni\u00e8res ann\u00e9es en terme d\u2019image. Mais il sera n\u00e9cessaire d\u2019intervenir : en sa faveur mais comment ? Le reconna\u00eetre officiellement ? Et si oui, \u00e0 quel niveau : r\u00e9gional, italien ou europ\u00e9en ? Aux trois niveaux ? Faut-il d\u00e9finir une ko\u00efn\u00e9 ? Ou deux ? Et pour le francoproven\u00e7al en France, en Suisse et au Pi\u00e9mont, que va-t-on faire ?<\/p>\n Ce sont l\u00e0 des questions difficiles auxquelles il faudra donner des r\u00e9ponses assez rapidement si nous voulons une Europe attentive de la sant\u00e9 de toutes les langues qu\u2019elle a con\u00e7ues et moul\u00e9es, si nous souhaitons une Europe riche de ses diff\u00e9rences linguistiques, si nous pr\u00e9conisons une Europe o\u00f9 le plurilinguisme est la norme dans le respect des diff\u00e9rences, consid\u00e9r\u00e9es comme stimulations pour l\u2019accroissement culturel g\u00e9n\u00e9ral.<\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":" Le cas de la Vall\u00e9e d\u2019Aoste : les langues en mouvement dans \u201cLangues : une guerre \u00e0 mort – Panoramiques\u201d n. 48, Editions Carlet, Cond\u00e9-sur-Moireau, 2000. 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