{"id":211,"date":"2014-12-30T18:08:14","date_gmt":"2014-12-30T18:08:14","guid":{"rendered":"https:\/\/betemps.eu\/?p=211"},"modified":"2019-07-11T22:20:25","modified_gmt":"2019-07-11T20:20:25","slug":"ramoneur-savoyard-de-profession","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/betemps.eu\/ramoneur-savoyard-de-profession\/","title":{"rendered":"Ramoneur, \u201cSavoyard de profession\u201d"},"content":{"rendered":"

Alexis B\u00e9temps, L\u2019HOMME et les Alpes<\/em>, Gl\u00e9nat, Grenoble 1992, p. 311-312.<\/p>\n

Un extrait du registre des actes de d\u00e9c\u00e8s de la ville de Seclin, d\u00e9partement du Nord, nous apprend que le 4 juin 1816 d\u00e9c\u00e9dait Jean Augustin Carlin, \u00e2g\u00e9 de vingt-huit ans, natif de Valsavarenche, en Vall\u00e9e d’Aoste, savoyard de profession.<\/p>\n

Ce document nous donne l’id\u00e9e de la pratique ancienne que les Vald\u00f4tains ont faite de ce m\u00e9tier et de l’\u00e9tendue de leur aire de rayonnement, et nous montre \u00e0 quel point le m\u00e9tier de ramoneur \u00e9tait souvent identifi\u00e9 avec le lieu d’origine du pratiquant.<\/p>\n

Le ph\u00e9nom\u00e8ne migratoire des ramoneurs, attest\u00e9 en Vall\u00e9e d’Aoste depuis le XVIIIe si\u00e8cle, a continu\u00e9 jusqu’aux environs des ann\u00e9es 1930.<\/p>\n

Les ramoneurs vald\u00f4tains exer\u00e7aient leur savoir au Pi\u00e9mont, dans toute la Suisse Romande, en France et en Belgique.<\/p>\n

Des centaines de petites entreprises (de 5 \u00e0 10 personnes) parfois \u00e0 gestion familiale, ont fleuri sur le territoire vald\u00f4tain, dans la haute vall\u00e9e (entre Aoste et Courmayeur) en particulier. Chaque entreprise avait sa zone traditionnelle parfois, selon les lieux et les temps, reconnue formellement par les autorit\u00e9s o\u00f9 s’exer\u00e7ait le ramonage.<\/p>\n

L’\u00e9quipe minimale de ramonage \u00e9tait compos\u00e9e, g\u00e9n\u00e9ralement, d’un ma\u00eetre qui assurait les contacts, pourvoyait au recrutement, organisait et supervisait le travail ; un chef des apprentis-ramoneurs, un jeune homme \u00e0 qui \u00e9tait confi\u00e9e la direction du travail des apprentis : il portait les outils, les nettoyait et ramassait le suie qui \u00e9tait souvent vendue \u00e0 des industries ; de deux ou trois apprentis-ramoneurs, des enfants de 7 \u00e0 13 ans qui ex\u00e9cutaient le travail en montant et descendant les chemin\u00e9es avec leur raclette et, plus tard avec le h\u00e9risson. Quand l’enfant \u00e9tait trop grand pour passer dans la chemin\u00e9e ou il devenait chef des apprentis, entreprenant ainsi la carri\u00e8re de ramoneur, ou bien, ce qui \u00e9tait le plus fr\u00e9quent, il s’initiait \u00e0 un autre travail.<\/p>\n

Ce qui fait que l’\u00e9quipe devait \u00eatre constamment renouvel\u00e9e. Pendant l’\u00e9t\u00e9, le ma\u00eetre-ramoneur parcourait les villages de sa paroisse ou des paroisses voisines pour chercher de nouveaux apprentis dans les familles les plus pauvres et les plus nombreuses.<\/p>\n

Un enfant qui partait signifiait une bouche en moins \u00e0 nourrir pendant la mauvaise saison et un peu d’argent qui entrait dans les caisses familiales.<\/p>\n

Le d\u00e9part se faisait au mois de septembre, souvent le lendemain de la f\u00eate de Saint-Grat, le saint patron de la Vall\u00e9e d’Aoste.
\n\u00c0 pied, la petite caravane se mettait en route vers les cols ou vers le fond de la Vall\u00e9e, selon la destination.<\/p>\n

D\u00e8s l’arriv\u00e9e dans la zone de travail l’\u00e9quipe se mettait \u00e0 l’\u0153uvre. Le matin t\u00f4t, apr\u00e8s une nuit pass\u00e9e sous un abri de fortune (une \u00e9table, un fenil, plus rarement une chambre) les ramoneurs parcouraient les rues des villes ou des villages en criant : \u00abOo, Oo, ramoneur du haut en bas!\u00bb. Ils sont d\u00e9j\u00e0 \u00e9quip\u00e9s de tous leurs instruments de travail : une courroie qui soutient une pi\u00e8ce de cuir qui pend derri\u00e8re jusqu’aux cuisses, la culatti\u00e8re; deux autres pi\u00e8ces de cuir sur les genoux, les genouill\u00e8res ; la raclette \u00e0 la main, le sac de toile dont on se couvre de la t\u00eate \u00e0  la ceinture pour se prot\u00e9ger contre la suie sur une \u00e9paule; le sac pour ramasser la suie sur l’autre.<\/p>\n

Quand un client les appelle, ils sont pr\u00eats \u00e0 se mettre \u00e0 l’\u0153uvre : ils entrent, le ma\u00eetre prend vision du travail, concerte le prix, puis l’apprenti grimpe dans la chemin\u00e9e.<\/p>\n

Le chef des apprentis et le ma\u00eetre dirigent son travail d’en bas ou bien du toit. C’est un travail dur, pour les enfants surtout, et dangereux. Les accidents, parfois mortels, sont fr\u00e9quents. Au cours de XIXe si\u00e8cle rien que dans une petite commune de la haute Vall\u00e9e d’environ 700 habitants, Valgrisenche, sur 24 ramoneurs attest\u00e9s, 12 sont morts en exer\u00e7ant leur m\u00e9tier. Mais c’est aussi un travail rentable, en particulier pour le ma\u00eetre-ramoneur : certains ont accumul\u00e9 une fortune fabuleuse.<\/p>\n

Les enfants souffraient de l’\u00e9loignement de leurs parents, de la duret\u00e9 du travail, mais ils avaient conscience de contribuer au maintien de la famille avec l’argent que le ma\u00eetre donnerait \u00e0 la fin de la saison et les pourboires jalousement conserv\u00e9s et parfois cach\u00e9s \u00e0 la convoitise du ma\u00eetre.<\/p>\n

En g\u00e9n\u00e9ral, les clients \u00e9taient gentils : \u00e9mus par les enfants, ils leur offraient souvent \u00e0 boire et \u00e0 manger des friandises qu’ils n’auraient jamais go\u00fbt\u00e9es chez eux.<\/p>\n

Et puis, selon la tradition, le ramoneur porte bonheur, donc on a tout int\u00e9r\u00eat \u00e0 \u00eatre gentil envers lui!<\/p>\n

Malgr\u00e9 cela, il arrivait que les petits apprentis abandonnent leur ma\u00eetre pour rentrer chez eux en parcourant tout seuls des centaines de kilom\u00e8tres ou pour choisir un travail moins p\u00e9nible et plus rentable.<\/p>\n

Avec le printemps, la saison se terminait. La rentr\u00e9e au pays signifiait pour le ma\u00eetre qu’il allait recommencer son tour de recrutement et les autres, jeunes et enfants, reprenaient les travaux de la campagne avec leur famille.<\/p>\n

G\u00e9n\u00e9ralement les ramoneurs \u00e9taient aussi colporteurs et profitaient de leurs tourn\u00e9es pour vendre de petits objets facilement transportables : des aiguilles, des ciseaux, des peignes etc. ou bien ils faisaient les d\u00e9crotteurs ou les montreurs de marmottes. D’autres achetaient les cheveux des jeunes femmes qu’ils revendaient pour faire des cordes et des perruques.<\/p>\n

Comme d’autres corporations, celle des ramoneurs avait d\u00e9velopp\u00e9 un jargon de m\u00e9tier, instrument de communication entre adeptes.<\/p>\n

Le “dzargo”, \u00e0 base francoproven\u00e7ale, diff\u00e9rait cependant, malgr\u00e9 de nombreux points en commun, d’une commune \u00e0 l’autre, voire d’une \u00e9quipe \u00e0 l’autre.<\/p>\n

Autour des petits hommes noirs qui grimpaient les chemin\u00e9es s’est d\u00e9velopp\u00e9e toute une litt\u00e9rature, souvent larmoyante, qui a fait des ramoneurs des st\u00e9r\u00e9otypes.<\/p>\n

Le travail des enfants \u00e9tait chose courante dans notre soci\u00e9t\u00e9 agro-pastorale et n’a jamais \u00e9t\u00e9 per\u00e7u n\u00e9gativement, mais plut\u00f4t comme un aspect d’une collaboration qui permettait \u00e0 la soci\u00e9t\u00e9 m\u00eame de survivre dans les conditions ambiantes difficiles o\u00f9 elle s’\u00e9tait \u00e9panouie.<\/p>\n

Les derniers petits ramoneurs vald\u00f4tains encore vivants ont \u00e9t\u00e9 \u00e0 maintes reprises interview\u00e9s : pas de regrets dans leurs paroles, pas de jugements s\u00e9v\u00e8res \u00e0 l’\u00e9gard de leur parents, mais beaucoup d’\u00e9motion et surtout, la s\u00e9r\u00e9nit\u00e9 de ceux qui ont su accepter l’in\u00e9vitable : \u00abAlors, c’\u00e9tait comme \u00e7a\u2026\u00bb.<\/p>\n

Bibliographie<\/p>\n

A.V.A.S., Les ramoneurs de la Vall\u00e9e d’Aoste<\/em>, Comit\u00e9 des Traditions Vald\u00f4taines, Aoste 1982.<\/p>\n

Berger R\u00e9my, De l’argot des ramoneurs dans le patois de La Thuile<\/em>, Le Flambeau n\u00b0 97, 1981.<\/p>\n

Cerlogne Jean-Baptiste, Vie du petit ramoneur<\/em>, Pessinetto 1895.<\/p>\n

Martin Georges, Les ramoneurs de la Vall\u00e9e de Rh\u00eames<\/em>, Musumeci, Aoste 1981.<\/p>\n

Paviolo Angelo, Gli spazzacamini della Valle dell’Orco<\/em>, Comunit\u00e0 montana Valle Orco e Soana, San Giorgio Canavese 1987.<\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":"

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