\u00ab Laissons passer la Saint-Bernard : je terminerai le travail que je dois te faire pour la Saint-Jean \u00bb. Une phrase de ce genre, qu\u2019on aurait tr\u00e8s bien pu entendre \u00e0 Aoste, autour d\u2019une table du caf\u00e9 Villettaz, un mardi quelconque, il y a cinquante ans, aurait un sens obscur aujourd\u2019hui \u00e0 l\u2019oreille d\u2019un jeune de chez nous, m\u00eame si issu d\u2019un milieu paysan et parlant couramment patois. La traduction pourrait \u00eatre : \u00ab Je ne peux pas te le faire avant le 15 juin parce que j\u2019ai encore les vaches \u00e0 l\u2019\u00e9table mais je te le ferai avant le 24 juin quand les vaches seront \u00e0 l\u2019alpage et j\u2019aurai ainsi un peu plus de temps \u00e0 ma disposition\u00bb.<\/p>\n
![\"[cml_media_alt](\"https:\/\/betemps.eu\/wp-content\/uploads\/2015\/01\/St_bernatd_-Challand_1_5_09-013.jpg\")
<\/a>Saint Bernard, Challand, Isollaz, 2009<\/p><\/div>Dans cette courte phrase, il y a, au moins, deux d\u00e9tails qui frappent notre sensibilit\u00e9 actuelle : le jour pr\u00e9cis du dernier d\u00e9lai n\u2019est pas marqu\u00e9 et les noms des saints sont utilis\u00e9s pour indiquer les jours limites. Cela nous am\u00e8ne \u00e0 faire quelques petites consid\u00e9rations sur la perception du temps actuelle et sur celle de la soci\u00e9t\u00e9 paysanne d\u2019autrefois.<\/p>\n
Actuellement, pour nous, le temps est comme une ligne droite qui tend vers l\u2019\u00e9ternit\u00e9 qu\u2019on peut subdiviser (et num\u00e9roter) en petites parties \u00e9gales (secondes, minutes, heures, jours, etc.). Sur cette ligne, s\u2019\u00e9tale la vie humaine et chaque segment, toujours \u00e9gal, marque l\u2019avanc\u00e9e de l\u2019individu vers l\u2019\u00e9ternit\u00e9. Et ce sont ces segments qui permettent aux hommes, individuellement ou en groupe, de calculer, voire de g\u00e9rer, le temps qui coule, ind\u00e9pendamment du temps atmosph\u00e9rique qu\u2019il fait, ind\u00e9pendamment de la saison. Cette vision permet une programmation du temps pr\u00e9cise mais contraignante et anonyme. Voil\u00e0 ainsi les horaires des trains et des avions, les tours de travail et les tours de garde, les jours de parution et les derniers d\u00e9lais, les reportages en direct de diff\u00e9rents matches et les gr\u00e8ves cordonn\u00e9es\u2026<\/p>\n
Mais il y a eu un temps, il n\u2019y a pas longtemps, que les ethnologues appellent temps circulaire, qui \u00e9tait per\u00e7u bien diff\u00e9remment.<\/p>\n
\u00ab Un temps paisible, r\u00e9p\u00e9titif, avan\u00e7ant \u00e0 des vitesses diff\u00e9rentes et alternes, s\u2019arr\u00eatant parfois ; un temps biologique, donc humain, respectueux des rythmes de la nature. C\u2019est un temps cyclique qui coule le long des ann\u00e9es, un temps circulaire qui chaque ann\u00e9e revient sur lui-m\u00eame, c\u2019est l\u2019\u00e9ternel retour de saisons, toujours \u00e9gales et toujours diff\u00e9rentes. C\u2019est le temps qui nourrit et qui fait vivre.<\/p>\n
C\u2019est le temps partag\u00e9 entre travail et repos, entre bonheur et malheur, entre profane et sacr\u00e9. Jours ouvrables et f\u00e9ri\u00e9s s\u2019alternent r\u00e9guli\u00e8rement et, \u00e0 chaque saison, pour sacraliser le passage, quelques jours f\u00e9ri\u00e9s suppl\u00e9mentaires s\u2019ajoutent aux dimanches. Pour identifier ces jours les chiffres ne servent pas, ne seraient m\u00eame pas opportuns. Les jours portent les noms des saints calendaires et les choses se font \u00e0 l\u2019ombre de ces saints : la b\u00e9n\u00e9diction du b\u00e9tail se fait \u00e0 la Saint-Antoine, l\u2019inalpe \u00e0 la Saint-Bernard, la d\u00e9salpe \u00e0 la Saint-Michel et la derni\u00e8re grande foire \u00e0 la Saint-Martin. Parfois c\u2019est le jour dit, parfois un peu avant ou bien un peu apr\u00e8s. Le temps n\u2019est jamais strict quand il est circulaire \u00bb(1)<\/sup><\/a>Brel, La Vall\u00e9e d\u2019Aoste au fil des jours<\/em>, Priuli e Verlucca, Ivrea Torino 2006.<\/span><\/span>