{"id":331,"date":"2015-01-31T08:50:21","date_gmt":"2015-01-31T08:50:21","guid":{"rendered":"https:\/\/betemps.eu\/?p=331"},"modified":"2019-07-11T22:17:32","modified_gmt":"2019-07-11T20:17:32","slug":"douceurs-de-la-tradition-et-dons-de-la-nature","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/betemps.eu\/douceurs-de-la-tradition-et-dons-de-la-nature\/","title":{"rendered":"Douceurs de la tradition et dons de la nature"},"content":{"rendered":"

Alexis B\u00e9temps<\/em><\/strong><\/p>\n

Publi\u00e9 sous le titre Petites gourmandises de dame nature,<\/em> in L’Alpe N. 63, Gl\u00e9nat, Grenoble 2013.<\/p>\n

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La douceur des saisons<\/strong><\/p>\n

Dans les ann\u00e9es 1950, quand j\u2019\u00e9tais gosse \u00e0 Valgrisenche, au pied de la Grande-Sassi\u00e8re, nous ne mangions pas beaucoup de sucreries, ni de g\u00e2teaux. Les familles n\u2019avaient pas tellement l\u2019habitude de faire de la p\u00e2tisserie et encore moins celle de g\u00e2ter les enfants avec des sucreries. Je me rappelle des beignets de la Saint-Grat, f\u00eate patronale, avec \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur les premi\u00e8res pommes vertes tomb\u00e9es de l\u2019arbre ou bien quelques feuilles de menthe ; des ch\u00e2taignes r\u00f4ties qu\u2019on laissait sur la table avec un verre de vin, soustraites au repas du soir, pour le r\u00e9confort des morts de la famille, \u00e0 la Toussaint ; de la cr\u00e8me fouett\u00e9e \u00e0 la veille de la No\u00ebl, au retour de la messe de minuit ; des ch\u00e2taignes, des noix, des petites pommes rouges, des rares oranges appel\u00e9es portugal<\/em> , qu\u2019on nous offrait le 1er<\/sup> jour de l\u2019an, lors de la qu\u00eate rituelle que les enfants faisaient en bravant la neige ; des merveilles du carnaval, appel\u00e9es aussi rezoulle,<\/em> si les poules avaient recommenc\u00e9 \u00e0 pondre, ce qui n\u2019\u00e9tait pas toujours le cas ; des graines de ma\u00efs grill\u00e9 qu\u2019on cousait sur le laurier b\u00e9ni du dimanche des Rameaux ; des petits bonbons noirs, semblables aux crottes de ch\u00e8vres, que les visiteurs nous offraient parfois, des bonbons des pr\u00eatres disait-on ; des pastilles \u00e0 la menthe, rose d\u2019un c\u00f4t\u00e9 et blanche de l\u2019autre, tellement fortes qu\u2019elles br\u00fblaient le nez et nous faisaient \u00e9ternuer : l\u2019oncle Fran\u00e7ois les sortait de sa poche, t\u00e2ch\u00e9es de gras et odorant le tabac, le mardi au retour du march\u00e9 d\u2019Aoste ; des flantse<\/em> du mois de d\u00e9cembre, \u00e0 la Sainte-Barbe, quand on cuisait le pain qui durerait toute l\u2019ann\u00e9e.<\/p>\n

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Flantse<\/p><\/div>C\u2019\u00e9taient des petits pains plats, aux formes vari\u00e9es (parfois celle d\u2019un petit coq \u00e0 la cr\u00eate d\u00e9coup\u00e9e), qu\u2019on cuisait pour les enfants lors de la derni\u00e8re fourn\u00e9e pour profiter de la chaleur r\u00e9siduelle et pour annoncer la No\u00ebl qui approche. C\u2019\u00e9tait \u00e0 peu pr\u00e8s tout. C\u2019\u00e9tait plus ou moins pareil pour tous : les plus pauvres un peu moins, les plus riches un peu plus. Dans nos conversations entre copains, on fantasmait \u00e0 propos de l\u2019\u00eele flottante, dont on imaginait mal la forme, que quelques enfants pr\u00e9tendaient avoir mang\u00e9 un jour…<\/p>\n

Mais \u00e0 c\u00f4t\u00e9 de ces dons que la famille et la communaut\u00e9 offraient \u00e0 leurs rejetons, il y avait pour nous d\u2019autres ressources: pendant la belle saison, nous \u00e9tions g\u00e2t\u00e9s par la nature. C\u2019\u00e9tait d\u2019elle, de sa g\u00e9n\u00e9rosit\u00e9, que venaient nos gourmandises.<\/p>\n

Grappillages \u00e0 l’alpage<\/strong><\/p>\n

\u00c0 l\u2019\u00e9poque, pratiquement, tous les enfants, en \u00e9t\u00e9, devaient mener au p\u00e2turage le b\u00e9tail : celui de la famille ou celui des autres, des ch\u00e8vres ou des vaches, une b\u00eate ou un troupeau. Alors, sur les vires ou \u00e0 l\u2019or\u00e9e du bois, le long du torrent ou pr\u00e8s du pierrier, quand le b\u00e9tail broutait tranquillement, les petits bergers, sans vraiment jamais perdre de vue les animaux, pouvaient explorer le territoire environnant \u00e0 la recherche des petits fruits de saison.<\/p>\n

Les fruits sauvages \u00e9taient le don de la nature aux petits bergers qui, \u00e0 l\u2019approche de leur maturation, veillaient avec impatience sur leur emplacement. Les premiers fruits \u00e0 m\u00fbrir \u00e9taient les fraises des bois et les myrtilles, vers le 20 du mois de juillet, quand les foins \u00e9taient en train de se terminer. Les myrtilles poussent jusqu\u2019au-dessus de 2100 m\u00e8tres, mais, l\u00e0-haut, elles m\u00fbrissent en septembre. En altitude, avec les myrtilles pousse aussi l’\u00e8nchouatte<\/em> (Vaccinium uliginosum L.<\/em>) dans le patois de Valgrisenche.<\/p>\n

\"[cml_media_alt<\/a>Elles ont la feuille diff\u00e9rente, une couleur bleue moins fonc\u00e9e, la forme l\u00e9g\u00e8rement plus allong\u00e9e, un peu plus fades au go\u00fbt et enti\u00e8rement d\u00e9pourvues de vertus m\u00e9dicales, disait-on. Ceux qui ne les connaissent pas les confondent syst\u00e9matiquement avec la myrtille bleue, mais nous, on apprenait tr\u00e8s t\u00f4t \u00e0 distinguer les deux esp\u00e8ces, souvent voisines.<\/p>\n

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Polypode commun<\/p><\/div>Avant les myrtilles et les fraises, on pouvait, tout au plus, manger quelques racines : la petite foug\u00e8re, le polypode commun, particuli\u00e8rement savoureuse au mois de juin ou juillet, quand elle est encore juteuse, si ainsi on peut dire ; ou bien les r\u00e9youlle<\/em>, ch\u00e2taignes de terre, \u00e0 la petite fleur blanche, une ombellif\u00e8re, de plus en plus rares : elles disparaissent avec les champs de c\u00e9r\u00e9ales autour desquels elles prosp\u00e9raient. Grosses comme une bille d\u2019enfant, on les \u00e9pluchait et on les mangeait crues : il ne fallait pas attendre qu\u2019elles soient trop m\u00fbres sinon elles devenaient fortes.<\/p>\n

Pointes de tr\u00e8fles et chewing-gum d’\u00e9pic\u00e9a<\/strong><\/p>\n

Nos r\u00e9coltes gourmandes comportaient quelques plantes comme l\u2019ail sauvage ou les feuilles de l\u2019\u00e9pine-vinette, de l\u2019oseille, du serpolet. On mangeait aussi la tige des barbar\u00e9i,<\/em> le salsifis sauvage \u00e0 la fleur jaune, qui ressemble au pissenlit, puis, surtout, les tiges de la rhubarbe des Alpes, dont on enlevait les fibres ligneuses avec un geste savant : on cassait un petit bout du c\u00f4t\u00e9 de la feuille, le moins \u00e9pais de la tige, et sans le d\u00e9tacher enti\u00e8rement, on le tirait vers le bas, l\u2019enlevant ainsi, comme une chemise fine. \"[cml_media_alt<\/a>On mangeait aussi, en les sortant d\u00e9licatement, les pointes internes, d\u00e9licieusement sucr\u00e9es, des fleurs de tr\u00e8fle, triol\u00e9<\/em>. On arrachait la fleur, blanche et surtout rose, et de la pointe des doigts, on tirait deux ou trois de ses p\u00e9tales \u00e0 la forme d\u2019aiguille; on les portait \u00e0 la bouche et on mordillait la pointe interne. La m\u00eame op\u00e9ration se faisait avec les primev\u00e8res ou avec les petits \u0153illets sauvages : on tirait la corolle de la tige et on su\u00e7ait le bout qui go\u00fbtait le miel. On mangeait aussi le c\u0153ur d\u2019une vari\u00e9t\u00e9 de carline, \u00e0 la feuille large et plate, qui poussait en-dessous des 2000 m\u00e8tres, cru, avant qu\u2019il ne s\u2019\u00e9panouisse pleinement. \"[cml_media_alt<\/a>En se promenant dans le sous-bois, on ne d\u00e9daignait pas les feuilles de l\u2019oxalide, pain de coucou en Suisse. L\u2019oxalide est une sorte de tr\u00e8fle \u00e0 quatre feuilles, qui forme des tapis sur l\u2019humus fertile form\u00e9 par les aiguilles de conif\u00e8res. On les cueillait, la main ouverte, en arrachant les feuilles serr\u00e9es entre les doigts tendus. Parfois, on avalait des fourmis en m\u00eame temps\u2026<\/p>\n

On m\u00e2chonnait la r\u00e9sine de l\u2019\u00e9pic\u00e9a, l\u2019ap\u00e8is<\/em> , comme l\u2019on ferait aujourd\u2019hui avec les chewing-gums. De la pointe de l\u2019opinel, il fallait d\u00e9tacher de l\u2019arbre quelques gouttes s\u00e9ch\u00e9es et, apr\u00e8s les avoir nettoy\u00e9es des r\u00e9sidus d’\u00e9corce ou de bois, on commen\u00e7ait \u00e0 m\u00e2cher. Longtemps… Au d\u00e9but c\u2019\u00e9tait un peu amer, puis cela devenait moins \u00e2pre, mou et \u00e9lastique. Au retour du p\u00e2turage, les petits bergers offraient leur ap\u00e8is<\/em> bien m\u00e2ch\u00e9 aux jeunes fr\u00e8res et cousins rest\u00e9s \u00e0 la maison. C\u2019\u00e9tait un cadeau bien appr\u00e9ci\u00e9. Les framboises, <\/em>commen\u00e7aient \u00e0 m\u00fbrir apr\u00e8s Notre-Dame-des-Neiges, le 5 Ao\u00fbt. On les cueillait aussi pour les pr\u00e9parer en salade, avec du vin et du sucre, comme les petites fraises des bois. \"[cml_media_alt<\/a> D\u00e9but ao\u00fbt, m\u00fbrissait aussi le rubus saxatilis<\/em>, la ronce des rochers, petit fruit rouge \u00e0 la forme et aux dimensions d\u2019une graine de ma\u00efs, poussant en inflorescences de 4-5-6 baies, au go\u00fbt l\u00e9g\u00e8rement acidul\u00e9.<\/p>\n

Un vent d’automne qui apporte l’abondance<\/strong><\/p>\n

Le vent de l\u2019automne se levait t\u00f4t pour les petits bergers en altitude. La date charni\u00e8re \u00e9tait l\u2019Assomption, Notra-Dama-d\u2019Out<\/em>, le 15 du mois d\u2019ao\u00fbt. Apr\u00e8s cette date, les taons disparaissaient pour le bonheur des vaches et des mulets ; le temps du p\u00e2turage s\u2019allongeait, le matin, jusqu\u2019aux premi\u00e8res heures de l\u2019apr\u00e8s-midi ; les ros\u00e9es se faisaient de plus en plus abondantes ; l\u2019air devenait frais \u00e0 l\u2019ombre des rochers et m\u00eame froid au coucher du soleil et \u00e0 l\u2019aube; le vent du nord soufflait plus calme et, ayant perdu toute son humidit\u00e9, il n\u2019apportait plus le mauvais temps. Au plan<\/em>(1)<\/sup><\/a>En Vall\u00e9e d\u2019Aoste, on entend par plan<\/em> la partie du territoire habit\u00e9e toute l\u2019ann\u00e9e, entre les 300 et les 1900 m\u00e8tres d\u2019altitude.<\/span><\/span>