{"id":406,"date":"2017-01-08T20:41:32","date_gmt":"2017-01-08T20:41:32","guid":{"rendered":"https:\/\/betemps.eu\/?p=406"},"modified":"2019-07-11T22:16:20","modified_gmt":"2019-07-11T20:16:20","slug":"fornet","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/betemps.eu\/fornet\/","title":{"rendered":"Entre ciel, terre et eau"},"content":{"rendered":"

Entre ciel, terre et eau<\/h1>\n

Interview \u00e0 six fornerains, Imprimerie la Vall\u00e9e, Aoste, 2002<\/h2>\n

Il y a cinquante ans d\u00e9j\u00e0, se passait un \u00e9v\u00e9nement extraordinaire, tout \u00e0 fait nouveau dans les annales s\u00e9culaires de l\u2019histoire vald\u00f4taine, sous-\u00e9valu\u00e9 par les contemporains d\u00e9j\u00e0 fortement secou\u00e9s et perturb\u00e9s par la guerre qui venait de se conclure et par les remous et les espoirs successifs. Imbus de cette acceptation diffuse d\u2019un progr\u00e8s irr\u00e9pressible et, il faut le reconna\u00eetre, souhait\u00e9, les Vald\u00f4tains n\u2019ont jamais vraiment compris le drame v\u00e9cu par la communaut\u00e9 de Valgrisenche quand  les habitants du quartier de Fornet durent abandonner \u00e0 tout jamais leurs demeures ancestrales pour faire place au progr\u00e8s qui, pour l\u2019occasion, avait pris le semblant d\u2019un barrage gigantesque, le plus grand d\u2019Europe, disait-on \u00e0 l\u2019\u00e9poque. Faire de l\u2019ironie sur l\u2019optimisme g\u00e9n\u00e9ralis\u00e9 de ces ann\u00e9es, s\u2019en prendre avec la myopie des d\u00e9cideurs du moment, avec l\u2019inconscience et la mauvaise foi de certains hommes de l\u2019\u00e9poque, \u00e9trangers ou Vald\u00f4tains, serait, de nos jours, trop facile et, de plus, inutile.<\/p>\n

Malheureusement, la communaut\u00e9 de Valgrisenche ne se reprendra plus de l\u2019amputation subie, celle d\u2019une tierce enti\u00e8re, celle d\u2019amont, importante et particuli\u00e8re. Importante parce qu\u2019elle repr\u00e9sentait la jonction naturelle avec les alpages et les cols vers la Savoie et le val de Rh\u00eames, et particuli\u00e8re parce qu\u2019elle avait une physionomie culturelle originale, reconnue, dont on se moquait gentiment parfois, mais qu\u2019au fond on enviait. D\u2019autres crises successives, plus g\u00e9n\u00e9rales, concernant la Vall\u00e9e d\u2019Aoste enti\u00e8re et l\u2019agriculture de montagne en particulier, disperseront encore davantage la population de Valgrisenche et ach\u00e8veront la d\u00e9cadence \u00e9conomique de la communaut\u00e9 dont les chances, pour un d\u00e9veloppement touristique \u00e0 venir, avaient \u00e9t\u00e9 compromises par la maladroite intervention des hommes et par leur convoitise disproportionn\u00e9e.<\/p>\n

Mais le souvenir de Fornet et de sa tierce est certainement celui qui a marqu\u00e9 le plus, et parfois hant\u00e9, tous ceux qui avaient v\u00e9cu ce moment de crise.<\/p>\n

Enfant de moins de dix ans, h\u00f4te fid\u00e8le de mes grands-parents de Valgrisenche pendant l\u2019\u00e9t\u00e9 et pendant toutes les f\u00eates command\u00e9es, j\u2019ai v\u00e9cu ce traumatisme \u00e0 travers les paroles de mes tantes et oncles, des voisins de Cer\u00e9, des enfants comme moi, avec qui je passais une partie de mon temps. Ma famille n\u2019avait pas \u00e9t\u00e9 touch\u00e9e directement mais l\u2019\u00e9v\u00e9nement m\u2019a tout de m\u00eame marqu\u00e9 et il demeure toujours bien vivant dans ma m\u00e9moire.<\/p>\n

On n\u2019oublie pas Fornet. Surtout si l\u2019on est Fornerein.<\/p>\n

Cinquante ans apr\u00e8s le d\u00e9part forc\u00e9, il a suffi de mettre ensemble six anciens habitants de la tierce d\u2019amont, pour passer trois heures ininterrompues \u00e0 rappeler les gens, les lieux, les coutumes, les r\u00e8gles sociales, les croyances de l\u2019ancienne communaut\u00e9 de Fornet. Et ils auraient pu continuer encore, sans se r\u00e9p\u00e9ter, sans s\u2019ennuyer, avec plaisir et \u00e9motion, avec une complicit\u00e9 m\u00fbrie par des si\u00e8cles de vie commune, avec des allusions, des non-dits que seulement les gens de l\u00e0-haut peuvent saisir pleinement, dans toutes leurs nuances.<\/p>\n

Les extraits transcrits de l\u2019enregistrement de cette rencontre de six fornereins dans la maison hospitali\u00e8re de Sylvain Bois, tout en \u00e9tant par force de choses fragmentaires, nous introduisent discr\u00e8tement dans cet univers culturel dispers\u00e9, peut-\u00eatre un peu mythifi\u00e9 par le temps, mais encore si vivant, si captivant, si \u00e9mouvant, si riche en enseignements.<\/p>\n

Une histoire exceptionnelle se d\u00e9gage de ces t\u00e9moignages, faite de ciel, de terre et d\u2019eau.<\/p>\n

Le ciel, avec sa spiritualit\u00e9, est toujours pr\u00e9sent dans l\u2019\u00e9vocation que les t\u00e9moins font des pri\u00e8res collectives du mois de mai, du long trajet dominical pour rejoindre l\u2019\u00e9glise et le retour joyeux fait de chansons, de la foi illimit\u00e9e dans les pouvoirs du saint patron de Beauregard, saint Ours, de la recherche anxieuse, quand il faut tout abandonner, d\u2019une nouvelle patrie, d\u2019un nouveau terroir, o\u00f9 la pr\u00e9sence d\u2019un clocher non loin de la maison est une condition essentielle\u2026<\/p>\n

La terre est sous le ciel et elle est faite de gens, d\u2019animaux, de choses et de travail : c\u2019est l\u2019enfant qui ramasse le bois mort avec grand- m\u00e8re, la jeune fille qui tricote \u00e0 dos de mulet, les vaches en bois sculpt\u00e9es par les enfants, le cordonnier ambulant qui s\u2019invente des travaux pour ne pas repartir, l\u2019institutrice qui remplit sa hotte de grenouilles, l\u2019enfant avec son sac de ch\u00e2taignes, \u00e9trenne du jour de l\u2019an, la vieille dame qui refuse de croire \u00e0 la construction du barrage.<\/p>\n

Tout ce monde sera recouvert, us\u00e9, d\u00e9form\u00e9, meurtri, boulevers\u00e9, presque effac\u00e9 par l\u2019eau, don du ciel et du d\u00e9mon, b\u00e9n\u00e9fique et mal\u00e9fique \u00e0 la fois : l\u2019eau qui arrose les pr\u00e9s, qui lave les enfants dans la tine et qui fait marcher la scierie ; l\u2019eau qui g\u00e8le en hiver et oblige les femmes \u00e0 faire leur lessive dans la Doire mais qui permet, en m\u00eame temps, l\u2019usage de la luge pour le transport et l\u2019amusement des enfants ; l\u2019eau qu\u2019on mesure, canalise, endigue et exploite pour le bonheur de populations lointaines et le malheur de ceux contraints \u00e0 l\u2019exil ; l\u2019eau qui recouvre, enfin, les maisons abandonn\u00e9es, les prairies fleuries, les murets des champs et les clochers des chapelles mais qui se r\u00e9v\u00e8lera une \u00e9p\u00e9e de Damocl\u00e8s, un danger terrible, pour ceux-l\u00e0 m\u00eames qui l\u2019avaient d\u00e9fi\u00e9e et qui avaient fait recours \u00e0 tous les moyens pour s\u2019en emparer.<\/p>\n

Et finalement, ce sera l\u2019eau qui vaincra la pr\u00e9somption et l\u2019arrogance, humiliant ceux qui auraient voulu la contraindre et reconnaissant ainsi, implicitement, le bon droit des fornereins. Malheureusement trop tard.<\/p>\n

Alexis B\u00e9temps<\/p>\n

Interview r\u00e9alis\u00e9e par: Alexis B\u00e9temps le 11\/4\/ 2002, \u00e0 Aoste chez Sylvain Bois.<\/span><\/p>\n

T\u00e9moins :<\/span><\/p>\n

Bois Louis de Gino (BL), n\u00e9 \u00e0 Valgrisenche en 1936, r\u00e9sidant \u00e0 Pontey<\/span><\/p>\n

Bois Nathalie (BN), n\u00e9e \u00e0 Valgrisenche en 1929, r\u00e9sidant \u00e0 Valpelline<\/span><\/p>\n

B\u00e9thaz Philippine (BP), n\u00e9e \u00e0 Valgrisenche en 1926, r\u00e9sidant \u00e0 Champrotard de Villeneuve<\/span><\/p>\n

B\u00e9thaz Judith (BJ), n\u00e9e \u00e0 Valgrisenche en 1925, r\u00e9sidant \u00e0 Champrotard<\/span><\/p>\n

B\u00e9thaz Amato (BA), n\u00e9 \u00e0 Valgrisenche en 1933, r\u00e9sidant \u00e0 Champrotard<\/span><\/p>\n

Bois Sylvain (BS), n\u00e9 \u00e0 Valgrisenche en 1915, r\u00e9sidant \u00e0 Aoste<\/span><\/p>\n

BA S\u00e8n todzor rest\u00e0 catch\u00e0 tan i m\u00e8nt\u00e8n di sold\u00e0 que di-z-ovr\u00e9<\/span><\/p>\n

(Nous \u00e9tions toujours entour\u00e9s de soldats et d\u2019ouvriers)<\/span><\/p>\n

BL Me rappello que can l\u2019\u00e9-t-arrev\u00e9ye su la camionetta de Scavarda, no si\u00e0n a l\u2019azile\u2026de l\u2019azile s\u00e8n tcheu chort\u00ec\u2026no si\u00e0n an dj\u00e9iz\u00e9ya outor de seutta camionetta a v\u00e9re comme l\u2019ie f\u00e9ite perqu\u00e9 te n\u2019\u00e8n v\u00e9j\u00e9 maque euna va sav\u00e8i can<\/span><\/p>\n

(Je me rappelle quand la camionnette de Scavarda(1)<\/sup><\/a>Nom de l\u2019entrepreneur qui venait d\u2019achever la route carrossable qui reliait Valgrisenche \u00e0 la vall\u00e9e principale.<\/span><\/span>