Alexis Bétemps
dans “Bulletin du Centre d’Etudes francoprovençales « René Willien » de Saint-Nicolas”, N. 60, Aoste 2010.
Après 31 ans, je quitte la présidence du Centre d’Études francoprovençales “René Willien “ de Saint-Nicolas.
J’avais succédé à son fondateur, René Willien, décédé subitement, sur les pistes de ski du Val Ferret, dans une froide journée de février. En 1979 a donc commencé pour moi une longue aventure qui m’a demandé des sacrifices et beaucoup de travail, mais qui m’a donné aussi de grandes satisfactions et quelques avantages. Tout le long de mon chemin, j’ai connu la tempête, des accalmies jamais trop longues, les rigueurs de l’hiver et la douceur du printemps : j’ai dû faire face à des incompréhensions, me confronter avec des collègues, me mesurer avec des adversaires. J’ai dû insister pour faire avancer des projets, me battre pour trouver les ressources nécessaires ; j’ai dû vaincre les méfiances qui m’accompagnaient, à mes débuts surtout ; j’ai connu l’appréhension des projets hasardeux et la crainte des reproches pour les choses mal faites ou bien faites aussi ; il m’a fallu essuyer des critiques amères que je jugeais injustes, mais qui ne l’étaient pas nécessairement toujours ; j’ai dû parfois me taire et baisser la tête pour éviter des collisions qui auraient pu être nuisibles à l’institution que je représentais ou, plus simplement, parce que je savais que j’avais tort. J’ai du demander et donner, promettre et refuser. Et cela n’a pas été toujours facile…
Mais j’ai aussi connu des personnes extraordinaires, humbles et réservées qui m’ont ouvert leur cœur, des collègues expérimentés qui m’ont soutenu et conseillé dans les moments difficiles ; des amis insoupçonnés qui étaient toujours là quand c’était nécessaire, des administrateurs illuminés qui ont prôné les projets et s’y sont passionnés. J’ai vu des initiatives aboutir selon les souhaits, j’ai senti croître autour de moi la confiance, j’ai vu grandir le Centre, matériellement, spirituellement et dans la perception des gens ; j’ai vu des institutions nouvelles naître du sein du Centre, prendre leur chemin et prospérer ailleurs ; j’ai rencontré des gens de loin venus voir ce qu’on était en train de faire, j’ai souffert de leurs critiques, savouré leurs appréciation et parfois joui de la lumière admirative qui naissait dans leurs yeux. Et j’ai eu surtout la satisfaction de voir reconnaître à la fin la bonté de mon travail, dans son ensemble, ce qui, malheureusement n’arrive pas à tous ceux qui l’auraient mérité… Je perçois l’appréciation par les salutations affectueuses des gens que je rencontre et que parfois je ne reconnais même pas ; par la disponibilité collaborative des anciens collègues ; par le respect souriant des autorités politiques, indépendamment de leur tendance ; par l’attention démontrée par les jeunes qui me cherchent et qui m’écoutent poliment, même quand je déborde un peu…
Une seule mais grande amertume se mêle aux différentes raisons de satisfaction : malgré tous les efforts du Centre et d’autres, pendant ces trente années, le patois a progressivement perdu de vigueur et sa situation est actuellement bien grave. Il risque de suivre le destin de tant d’autres langues à faible diffusion. Aurions-nous pu faire davantage ? Certainement. Aurions-nous pu mieux faire ? Fort probablement… Mais si nous n’avions rien fait ? Finalement, disons que nous avons fait ce que nous avons su et pu et il n’est pas à nous d’évaluer l’impact des actions menées au cours des dernières trente années. Et ce n’est pas encore le moment non plus.
Pour l’instant, je l’avoue, je suis un homme comblé. Pour ce qui est de mon expérience personnelle au Centre en tout cas.
Arrivé à l’âge de la retraite, j’ai trouvé la force de me mettre un peu de côté. Une nouvelle équipe, faite de jeunes bien préparés, enthousiastes et amoureux du patois vient de s’installer dans le nouveau Bureau de la présidence du Centre.
Le Centre avait besoin de ces énergies nouvelles, de ces compétences en ligne avec la modernité, de ces sensibilités adaptées aux temps nouveaux. À la tête du groupe, une présidente, anthropologue déjà affirmée malgré sa jeunesse, avec de bonnes connaissances en linguistique, pleine d’amour pour le Pays, d’une cohérence exemplaire dans ses choix de vie et de comportement. Bon travail Christiane, à toi et à toute l’équipe !
Vu que j’ai quand même encore quelque énergie à dépenser, j’ai accepté avec plaisir de recouvrir la charge de vice-président du Centre, pour mettre mon expérience, si nécessaire, au service de l’association. Je continue aussi à assurer la direction de notre Bulletin que j’ai fortement voulu il y a plus de trente ans, que j’ai toujours suivi et que j’espère pouvoir suivre encore tant que les forces et les capacités me soutiendront.
En conclusion, je veux remercier tous ceux avec qui j’ai collaboré, paysans, artisans, ouvriers, enseignants, collègues de l’Administration et du monde scientifique, représentants politiques et membres du Centre.
Et je veux rappeler en particulier les personnes que j’ai aimées et appréciées et qui ne sont plus là : d’abord Mademoiselle Maria Ida Viglino, femme extraordinaire, assesseur à l’Instruction publique, qui m’a voulu à la tête du Centre en 1979 ; le professeur Ernest Schüle, maître inoubliable et cofondateur du Centre ; le professeur Jean Pezzoli, homme cultivé, prudent et avisé qui m’a savamment « piloté » à mes débuts ; le collègue Marco Perron, chercheur compétent et modeste, qui nous a quittés trop tôt, nous privant de son savoir et de son esprit pointu ; Pierre Vietti, Batezar, poète et écrivain, longtemps trésorier du Centre, qui a toujours partagé avec nous ses connaissances profondes du milieu valdôtain.
Grammersì a tchoueut !
Alexis Bétemps
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