Le dernier tango à Quart-Villair
ou
mes Alpes au troisième millénaire

Alexis Bétemps, Revue de divulgation scientifique «Les Alpes retrouvées » du 26/08/2352, numéro 4 et  “L’Alpe” n° 6, Editions Glénat, Grenoble 2000.

Une nouvelle découverte ajoute un jalon important pour la compréhension de l’histoire et des coutumes de l’Europe d’avant la guerre nucléaire, et dans celles des Alpes occidentales en particulier.

Un touriste, Louis Barthelemy, de Villeurbanne, en vacance à Quart Villair, faubourg d’Aoste sur Doire, a trouvé sur la colline (gauche hydrographique de la Vallée), dans une petite caverne autrefois habitée par une fée aux étranges pouvoirs, une bande magnétique.

Depuis la fin du XXe siècle jusqu’au début du XXIe ces bandes avaient connu une certaine diffusion mais ont été, hélas, rapidement remplacées par des supports électroniques plus sophistiqués.

Fidèle aux consignes, le touriste a remis le document à notre université où les savants se sont empressés de l’étudier.

Ainsi, la collection de documents anciens, livres, journaux, photos, disques, audio et vidéocassettes conservés dans notre université compte désormais 2328 pièces. Et une brique importante de notre mémoire s’ajoute au patrimoine connu. La guerre nucléaire, ne l’oublions pas, en démagnétisant les supports électroniques, et en provoquant l’invasion successive de mites papivores, a effacé 99% de la mémoire terrestre ainsi que 2822 langues recensées. Pour ne pas parler des pertes humaines et des autres catastrophes qui ont profondément changé nos mœurs. Mais tout cela est même trop connu.

D’après une première analyse, l’importance de la bande retrouvée s’avère exceptionnelle : il s’agit de l’enregistrement du dernier coït en patois francoprovençal.

Combien de nos lecteurs savent ce qu’est un coït ? Et le patois francoprovençal ?

Quelques mots d’explication deviennent donc indispensables avant de procéder à la présentation du document.

Pour ce qui est du coït, des ouvrages scientifiques importants ont été consacrés à ce sujet(1)Bauséjour Alphonse, Histoire de la procréation: de la barbarie à la civilisation, ed. Monseuil, Dijon, 2324. Masterbrook John, Mais faisaient-ils vraiment ainsi ? (Traduit du Quetchoua), le livre de Poche, Paris 2326. Duroux Paul, Copulation et urbanisation, ed. POUFF, Barcelone, 2342; en deux mots c’est une sorte de gymnastique liée à une procédure désuète pour la procréation.

Quand au francoprovençal, il s’agit d’un parler gallo-roman au même titre que le français, disparu à la veille de la guerre nucléaire.

Le dernier locuteur, décédé en 2115 à l’âge vénérable de 102 ans était un valdôtain d’origine bantou : Victor N’Krounaz.

L’importance de la bande est double :

  • du point de vue ethnographique : elle témoigne d’un usage (le coït) abandonné depuis deux siècles environ. C’est une pièce qui s’ajoute à une abondante collection que nous conservons jalousement (fragments d’essais scientifiques, photos dites pornos(2)L’étymologie du mot est contreversée. Elle est probablement liée au nom d’un alcool particulièrement répandu en France au XXe siècle : le Pernod. Après un passionnant débat, les linguistes concordent désormais sur ce point bien que la transformation du phonème e en o n’ait pas eu d’explications trop convaincantes.
    La chute du graphème final d, par contre, se comprend plus facilement étant donné qu’au XXe siècle les consonnes finales n’étaient que rarement prononcées.
    , quelques photogrammes de films, etc) rassemblée avec amour et patience, par l’abbé Marteuret au lendemain de la première, et nous l’espérons dernière, guerre nucléaire;

  • du point de vue linguistique : elle témoigne d’un parler dont nous ne possédons que des bribes. Quand fera-t-on des fouilles à Conflans, l’un des plus importants centres culturels de la culture savoisienne au XXe siècle ? Voulons-nous vraiment tout perdre à cause de notre insouciance ?

La bande a donc été étudiée par un groupe de chercheurs qualifiés mais plusieurs points d’interrogation demeurent sans réponse exhaustive.

D’abord, s’agit-il vraiment du dernier coït en francoprovençal ?

Sur ce point, le jugement de l’historien ne peut être péremptoire. D’après notre documentation iconographique nous avons pu établir que le coït était essentiellement pratiqué par des jeunes en bonne forme.

Mort en 2115 à l’âgé de 102 ans, Victor N’Krounaz a fort probablement exercé son activité sexuelle, conformément aux mœurs de l’époque, autour des années 2030/2050.

Etant le dernier patoisant, nous devons présumer que déjà pendant sa jeunesse les patoisants étaient rares.

Aurait-il rencontré et séduit une partenaire patoisante? Cela est possible, mais statistiquement improbable.

Et, encore, parlait-il francoprovençal en faisant l’amour ? Nous savons que la langue de l’amour n’est pas toujours celle maternelle…

Ces considérations nous font donc penser que la date du dernier coït en francoprovençal se situe vers le début du XXIe siècle, époque où se situe notre bande.
Cela dit, il est temps de passer à l’analyse du contenu de la bande.

Le couple qui, sans le savoir, en assouvissant son désir a rendu un grand service à la culture et à la science, ne devait pas être en pleine forme: certains éléments du dialogue nous le laissent croire. « T’ i ret comme un boc »(3)Tu es raide comme un bouc. dit la femme à un moment donné. Ce qui nous fait penser à un homme qui n’était plus dans la fleur de l’âge, à un malade ou à un blessé.

À moins que la phrase prononcée ne soit l’échantillon d’un ancien rituel que nous ignorons. À l’état actuel de nos connaissances en la matière tout est possible.

Du point de vue ethnographique, ce document extraordinaire ne nous apprend pas grand-chose de substantiel : nous étions déjà  suffisamment renseignés tant il est vrai que des expériences de coït ont pu être faites en laboratoire par nos savants avec des résultat alléchants(4)Il y a des jeunes assistants universitaires qui, suite à ces expériences prônent le retour au coït, mais sans beaucoup de succès, il faut le reconnaître..

Il nous apprend quand même un détail important.

Ce qui est encore controversé du point de vue scientifique est le passage des préliminaires à la pénétration. Nos connaissances étaient jusqu’ici incomplètes. La bande semble confirmer l’hypothèse selon laquelle la pénétration (marquée dans la bande par un petit « Ah! ») se faisait au moment où l’excitation avait atteint son plus haut degré. Cette découverte démolit la théorie élaborée par le professeur Blackbird, d’après qui la pénétration se faisait sans les préliminaires qui auraient affaibli la puissance du mâle et empêché l’achèvement de l’opération.

La position des amants de Quart-Villair était la plus ordinaire dans la culture occidentale : l’homme dessus.

Ce détail ressort grâce à une phrase prononcée par la femme: « Te m’agnaque lo queuqueun de drèite »(5)Tu m’écrases le sein de droite..

Ils étaient probablement  nus (pas de froissements de vêtements) et c’était la nuit: « Tchouè la leumiéye »(6)Eteins la lumière. Ici un problème de type socio-culturel se pose. Pourquoi fallait-il éteindre la lumière ? dit l’homme au beau milieu des préliminaires.

La durée du coït, préliminaires compris, est de 14 minutes, ce qui rentre dans la norme connue et vérifiée en laboratoire.

Les grincements des ressorts, très perceptibles, nous font penser qu’ils étaient sur un vieux lit. Nos amants, ne devaient donc pas être riches, ce qui souligne l’aspect hautement démocratique du coït  qui n’était donc pas un privilège de classe, comme quelqu’un prétend de nos jours…
Mais étaient-ils vraiment de Quart-Villair?

Quart-Villair, déjà vers la fin du XXe siècle, quand il n’était pas encore un faubourg de la ville d’Aoste, était fortement italianisé; ce qui nous amène à déduire qu’à l’époque de la bande en question, le patois n’était plus parlé par les Quartains. Il s’agissait donc d’une couple originaire d’une commune de montagne où le patois s’était mieux conservé. Et probablement, mari et femme(7)Mais est-on vraiment sûr qu’il s’agissait bien couple régulier ? ne venaient pas de la même commune.

C’est l’analyse linguistique qui nous l’apprend. La femme avait un patois en o (féi po paèi…pi todzen…)(8)Ne fais pas ainsi…plus lentement… et l’homme en a  (sara pa le tsambe…)(9)Ne ferme pas les jambes..

Mais ces nuances de langue ne devaient pas gêner l’intercompréhension et, moins encore, le coït.

Pour ce qui est de l’intonation de la phrase (nous ne sommes pas de ceux qui minimisent l’importance des phénomènes suprasegmentaux), elle n’est sûrement pas celle employée couramment par les patoisants à table, sur les lieux de travail ou pendant les loisirs.

Elle est entrecoupée de soupirs, de gémissements et d’autres sons curieux difficilement identifiables.

Un autre détail nous confirme que le couple ne parlait pas tout à fait le même patois. La femme emploie le lexème oï  pour oui (Veugno-dze? Oï…oï …o …)(10)Est-ce que je dois venir ? Oui…oui…oui… et l’homme le lexème oué (Oué…paèi…continua…)(11)Oui…comme-ça…continue…. Ce qui démolit une fois de plus (comme si c’était nécessaire !) certaines théories réactionnaires, semi-racistes, et qui démontre que l’acte sexuel (étant avant tout un fait culturel) était possible même quand la langue employée n’était pas exactement la même.

Quant à la qualité de la langue, le patois employé est truffé d’italianismes. Les interférences italien /francoprovençal sont de deux les types :

  • traduction du mot italien en patois sans que le sémantisme italien ne soit modifié : ton pipi l’e panco pròou deur…(12)Ton oiseau n’est pas encore assez dur. L’organe masculin s’appelait seublet en francoprovençal (litt. siflet). En italien l’éventail des mots était plus varié. Ce que la femme avait retenu et traduit était «uccello » (oiseau). Elle aurait pu traduire aouzi mais sa sensibilité linguistique l’a fait opter pour « pipi », mot francoprovençal du language enfantin pour oiseau.
  • emploi d’un mot italien dans un contexte patois : attén que beuttèyo ya la gonna queucar te me tcheuntche totta(13)Attends que j’enlève la jupe sinon tu me salis. Elle aurait pu dire sardze. La sardze ou jupe était une toile que les femmes d’alors portaient autour de la taille. Sa fonction était probablement celle de couvrir le sexe. Pour le coït elle devait être enlevée ou soulevée.
    Gonna, reggiseno, leasing, mamma mia, fa nèn il fol, serrande, self-control battello, pressing, calze di nylon, mastite et black-out sont les mots italiens qui fleurissent le dialogue de nos amants patoisants(14)Un chercheur isolé soutient que fa nen il fol  est de l’anglais, langue que malheureusement nous ne connaissons plus. À ce qu’il paraît, l’Anglais était une langue très répandue, un peu comme le Quetchoua de nos jours..

Cette liste de mots recouvre pour nous une grande importance parce qu’elle nous permet  de mieux connaître l’italien dont les seuls témoignages qui nous restent sont : un merveilleux petit livre intitulé Le tragedie di Vittorio Alfieri, Le canzoni del Festival di San Remo 1969, une partie de Il settantaquattresimo piano per gli interventi economici nel Mezzogiorno , et le roman Furore de John Steinbeck, traduit du portugais.

Vous trouverez prochainement d’autres réflexions sur ce document, beaucoup plus approfondies que celles d’un simple journaliste, dans le livre Le système de parenté au XXe siècle chez les habitants d’une petite commune du VDA du professeur Val Helpen qui paraîtra chez l’éditeur Martini de Bourg-en-Bresse.
Quant à moi, permettez-moi une dernière considération pour conclure : la tendance, hélas trop généralisée, consiste à conserver ces documents anciens dans des lieux peu accessibles au public qui est ainsi privé d’une source précieuse d’enrichissement culturel. En plus des études savantes dont notre bande est l’objet, pourquoi ne pas en proposer la traduction en vue d’une utilisation didactique dans nos écoles ?

Il me paraît juste que notre jeunesse aussi puisse profiter des découvertes des savants.

Je suis certain qu’un document de ce type pourra donner des dernières idées aux jeunes générations.

D’ailleurs, comme dit l’adage, ce qui a plu, plaira au cours des siècles.

Notes

Notes
1 Bauséjour Alphonse, Histoire de la procréation: de la barbarie à la civilisation, ed. Monseuil, Dijon, 2324. Masterbrook John, Mais faisaient-ils vraiment ainsi ? (Traduit du Quetchoua), le livre de Poche, Paris 2326. Duroux Paul, Copulation et urbanisation, ed. POUFF, Barcelone, 2342
2 L’étymologie du mot est contreversée. Elle est probablement liée au nom d’un alcool particulièrement répandu en France au XXe siècle : le Pernod. Après un passionnant débat, les linguistes concordent désormais sur ce point bien que la transformation du phonème e en o n’ait pas eu d’explications trop convaincantes.

La chute du graphème final d, par contre, se comprend plus facilement étant donné qu’au XXe siècle les consonnes finales n’étaient que rarement prononcées.

3 Tu es raide comme un bouc.
4 Il y a des jeunes assistants universitaires qui, suite à ces expériences prônent le retour au coït, mais sans beaucoup de succès, il faut le reconnaître.
5 Tu m’écrases le sein de droite.
6 Eteins la lumière. Ici un problème de type socio-culturel se pose. Pourquoi fallait-il éteindre la lumière ?
7 Mais est-on vraiment sûr qu’il s’agissait bien couple régulier ?
8 Ne fais pas ainsi…plus lentement…
9 Ne ferme pas les jambes.
10 Est-ce que je dois venir ? Oui…oui…oui…
11 Oui…comme-ça…continue…
12 Ton oiseau n’est pas encore assez dur. L’organe masculin s’appelait seublet en francoprovençal (litt. siflet). En italien l’éventail des mots était plus varié. Ce que la femme avait retenu et traduit était «uccello » (oiseau). Elle aurait pu traduire aouzi mais sa sensibilité linguistique l’a fait opter pour « pipi », mot francoprovençal du language enfantin pour oiseau.
13 Attends que j’enlève la jupe sinon tu me salis. Elle aurait pu dire sardze. La sardze ou jupe était une toile que les femmes d’alors portaient autour de la taille. Sa fonction était probablement celle de couvrir le sexe. Pour le coït elle devait être enlevée ou soulevée.
14 Un chercheur isolé soutient que fa nen il fol  est de l’anglais, langue que malheureusement nous ne connaissons plus. À ce qu’il paraît, l’Anglais était une langue très répandue, un peu comme le Quetchoua de nos jours.