Alexis Bétemps, L’HOMME et les Alpes, Glénat, Grenoble 1992, p. 311-312.

Un extrait du registre des actes de décès de la ville de Seclin, département du Nord, nous apprend que le 4 juin 1816 décédait Jean Augustin Carlin, âgé de vingt-huit ans, natif de Valsavarenche, en Vallée d’Aoste, savoyard de profession.

Ce document nous donne l’idée de la pratique ancienne que les Valdôtains ont faite de ce métier et de l’étendue de leur aire de rayonnement, et nous montre à quel point le métier de ramoneur était souvent identifié avec le lieu d’origine du pratiquant.

Le phénomène migratoire des ramoneurs, attesté en Vallée d’Aoste depuis le XVIIIe siècle, a continué jusqu’aux environs des années 1930.

Les ramoneurs valdôtains exerçaient leur savoir au Piémont, dans toute la Suisse Romande, en France et en Belgique.

Des centaines de petites entreprises (de 5 à 10 personnes) parfois à gestion familiale, ont fleuri sur le territoire valdôtain, dans la haute vallée (entre Aoste et Courmayeur) en particulier. Chaque entreprise avait sa zone traditionnelle parfois, selon les lieux et les temps, reconnue formellement par les autorités où s’exerçait le ramonage.

L’équipe minimale de ramonage était composée, généralement, d’un maître qui assurait les contacts, pourvoyait au recrutement, organisait et supervisait le travail ; un chef des apprentis-ramoneurs, un jeune homme à qui était confiée la direction du travail des apprentis : il portait les outils, les nettoyait et ramassait le suie qui était souvent vendue à des industries ; de deux ou trois apprentis-ramoneurs, des enfants de 7 à 13 ans qui exécutaient le travail en montant et descendant les cheminées avec leur raclette et, plus tard avec le hérisson. Quand l’enfant était trop grand pour passer dans la cheminée ou il devenait chef des apprentis, entreprenant ainsi la carrière de ramoneur, ou bien, ce qui était le plus fréquent, il s’initiait à un autre travail.

Ce qui fait que l’équipe devait être constamment renouvelée. Pendant l’été, le maître-ramoneur parcourait les villages de sa paroisse ou des paroisses voisines pour chercher de nouveaux apprentis dans les familles les plus pauvres et les plus nombreuses.

Un enfant qui partait signifiait une bouche en moins à nourrir pendant la mauvaise saison et un peu d’argent qui entrait dans les caisses familiales.

Le départ se faisait au mois de septembre, souvent le lendemain de la fête de Saint-Grat, le saint patron de la Vallée d’Aoste.
À pied, la petite caravane se mettait en route vers les cols ou vers le fond de la Vallée, selon la destination.

Dès l’arrivée dans la zone de travail l’équipe se mettait à l’œuvre. Le matin tôt, après une nuit passée sous un abri de fortune (une étable, un fenil, plus rarement une chambre) les ramoneurs parcouraient les rues des villes ou des villages en criant : «Oo, Oo, ramoneur du haut en bas!». Ils sont déjà équipés de tous leurs instruments de travail : une courroie qui soutient une pièce de cuir qui pend derrière jusqu’aux cuisses, la culattière; deux autres pièces de cuir sur les genoux, les genouillères ; la raclette à la main, le sac de toile dont on se couvre de la tête à  la ceinture pour se protéger contre la suie sur une épaule; le sac pour ramasser la suie sur l’autre.

Quand un client les appelle, ils sont prêts à se mettre à l’œuvre : ils entrent, le maître prend vision du travail, concerte le prix, puis l’apprenti grimpe dans la cheminée.

Le chef des apprentis et le maître dirigent son travail d’en bas ou bien du toit. C’est un travail dur, pour les enfants surtout, et dangereux. Les accidents, parfois mortels, sont fréquents. Au cours de XIXe siècle rien que dans une petite commune de la haute Vallée d’environ 700 habitants, Valgrisenche, sur 24 ramoneurs attestés, 12 sont morts en exerçant leur métier. Mais c’est aussi un travail rentable, en particulier pour le maître-ramoneur : certains ont accumulé une fortune fabuleuse.

Les enfants souffraient de l’éloignement de leurs parents, de la dureté du travail, mais ils avaient conscience de contribuer au maintien de la famille avec l’argent que le maître donnerait à la fin de la saison et les pourboires jalousement conservés et parfois cachés à la convoitise du maître.

En général, les clients étaient gentils : émus par les enfants, ils leur offraient souvent à boire et à manger des friandises qu’ils n’auraient jamais goûtées chez eux.

Et puis, selon la tradition, le ramoneur porte bonheur, donc on a tout intérêt à être gentil envers lui!

Malgré cela, il arrivait que les petits apprentis abandonnent leur maître pour rentrer chez eux en parcourant tout seuls des centaines de kilomètres ou pour choisir un travail moins pénible et plus rentable.

Avec le printemps, la saison se terminait. La rentrée au pays signifiait pour le maître qu’il allait recommencer son tour de recrutement et les autres, jeunes et enfants, reprenaient les travaux de la campagne avec leur famille.

Généralement les ramoneurs étaient aussi colporteurs et profitaient de leurs tournées pour vendre de petits objets facilement transportables : des aiguilles, des ciseaux, des peignes etc. ou bien ils faisaient les décrotteurs ou les montreurs de marmottes. D’autres achetaient les cheveux des jeunes femmes qu’ils revendaient pour faire des cordes et des perruques.

Comme d’autres corporations, celle des ramoneurs avait développé un jargon de métier, instrument de communication entre adeptes.

Le “dzargo”, à base francoprovençale, différait cependant, malgré de nombreux points en commun, d’une commune à l’autre, voire d’une équipe à l’autre.

Autour des petits hommes noirs qui grimpaient les cheminées s’est développée toute une littérature, souvent larmoyante, qui a fait des ramoneurs des stéréotypes.

Le travail des enfants était chose courante dans notre société agro-pastorale et n’a jamais été perçu négativement, mais plutôt comme un aspect d’une collaboration qui permettait à la société même de survivre dans les conditions ambiantes difficiles où elle s’était épanouie.

Les derniers petits ramoneurs valdôtains encore vivants ont été à maintes reprises interviewés : pas de regrets dans leurs paroles, pas de jugements sévères à l’égard de leur parents, mais beaucoup d’émotion et surtout, la sérénité de ceux qui ont su accepter l’inévitable : «Alors, c’était comme ça…».

Bibliographie

A.V.A.S., Les ramoneurs de la Vallée d’Aoste, Comité des Traditions Valdôtaines, Aoste 1982.

Berger Rémy, De l’argot des ramoneurs dans le patois de La Thuile, Le Flambeau n° 97, 1981.

Cerlogne Jean-Baptiste, Vie du petit ramoneur, Pessinetto 1895.

Martin Georges, Les ramoneurs de la Vallée de Rhêmes, Musumeci, Aoste 1981.

Paviolo Angelo, Gli spazzacamini della Valle dell’Orco, Comunità montana Valle Orco e Soana, San Giorgio Canavese 1987.